Imaginez le scénario suivant. Un ami de l’église vous a prêté sa voiture pour vous dépanner, mais en l’utilisant un jour, vous avez heurté un trottoir et creusé une grosse éraflure dans une jante. Qu’est-ce que vous devez faire maintenant pour réparer cette situation ?
Ou bien imaginez un autre scénario. Vous êtes partis en vacances et vous avez demandé à des amis d’occuper votre maison pendant votre absence, pour la surveiller. Mais à votre retour, vous découvrez que des pots de fleurs, auxquels vous teniez beaucoup, ont été renversés et cassés dans votre jardin. Vos amis vous disent qu’ils n’ont rien vu, et que ça doit être des enfants du voisinage qui ont dû s’introduire en douce dans le jardin pour le vandaliser. Cela vous semble étonnant, puisque jamais cela ne s’était produit auparavant ; comment faire maintenant pour ne pas laisser cette situation entraver votre relation avec vos amis ?
Ou bien imaginez encore un autre scénario. Votre petit frère a reçu un super jouet pour son anniversaire, et un jour où votre petit frère n’est pas là, vous prenez son jouet, sans lui avoir demandé son autorisation, pour vous amuser avec. Malheureusement, vous le cassez. Vous le remettez à sa place, en deux morceaux, et quand votre petit frère le découvre le lendemain, il est effondré. Personne ne sait que c’est vous le responsable, mais vous vous sentez quand même un peu coupable. Comment faire pour réparer cette situation ?
On pourrait multiplier, n’est-ce pas, ce type de scénario où un préjudice matériel (un dommage matériel) demande à être réparé, que ce préjudice résulte d’un pur accident, ou d’une négligence, ou d’une malveillance caractérisée. Et souvent, ces situations relèvent de la vie courante, et peuvent même parfois nous sembler un peu futiles et insignifiantes. « J’ai abîmé la voiture de mon ami, et alors ? Il n’y a pas mort d’homme, ce n’est qu’une voiture, et comme on est des chrétiens, de toute façon, tout ce qui n’est pas spirituel n’est pas si important. »
Alors qu’en fait, cette question est importante pour Dieu, et vous allez voir que c’est important pour Dieu, puisque toute une partie du « Livre de l’alliance » (cette section—trois chapitres—du livre de l’Exode qui suit les Dix Commandements) est consacrée à la question de savoir comment réparer les préjudices matériels.
On a vu la dernière fois tout un passage qui parlait des dommages causés à la personne humaine ; maintenant, c’est un passage qui parle des dommages causés aux biens. Mais ce qu’on va voir aujourd’hui, c’est que si cette question est importante pour Dieu, c’est parce que derrière cette question des dommages causés aux biens, il y a celle de notre relation avec notre prochain, et derrière celle-là, il y a plus fondamentalement encore la question de la disposition de notre cœur à l’égard de notre prochain et à l’égard de Dieu.
La première chose qu’il faut remarquer, en lisant ce texte, c’est tout simplement le fait que Dieu nous parle de ces choses ! Au moment où Dieu est en train de constituer son peuple et de lui apprendre ce que cela veut dire d’être une nation « sainte » (mise à part pour lui), Dieu estime qu’il est important d’aborder la question de la responsabilité individuelle des gens à l’égard des possessions matérielles des autres.
Le passage qu’on a lu passe en revue toutes sortes de situations différentes qui sont des situations-type (des paradigmes), où il y a des préjudices tantôt accidentels, tantôt dus à une négligence, tantôt dus à la malveillance. Dans toutes ces situations, le texte dit qu’il y a des conséquences à assumer. Ce que Dieu est en train de faire, c’est qu’il est en train de responsabiliser les Israélites, comme si Dieu leur disait : « Faites attention à comment vous agissez vis-à-vis des biens qui appartiennent aux autres, parce que vous êtes responsables de vos actes, et vos actes ont des conséquences que vous êtes responsables d’assumer. »
La loi de Dieu, ici, souligne la responsabilité individuelle des gens, dans le but de les inciter à la précaution, à la prudence et au respect des autres, non seulement par rapport à leur personne (comme on l’a vu la dernière fois), mais aussi par rapport à leurs biens. Oui, la propriété privée est un concept biblique, et elle mérite, selon Dieu, d’être respectée. On doit faire attention à ce qui appartient aux autres.
C’est simple, mais c’est quelque chose que Dieu veut que nous prenions au sérieux. Je me souviens d’un jeu qui était installé il y a quelque temps au centre commercial de Confluence, et que mes enfants aimaient beaucoup (moi aussi d’ailleurs). Ça s’appelait le « laser box ». C’était une espèce de grande cabine obscure traversée de rayons laser dans tous les sens, et le but du jeu était d’aller d’un bout de cet espace à l’autre, le plus vite possible, sans toucher les lasers. Forcément, on faisait très attention. On devait payer 1 euro par partie, ou quelque chose comme ça. C’était pas cher payer, pour bien s’amuser ! Mais je me dis que si en plus de payer un euro par partie, on nous infligeait une amende de 15 euros à chaque fois qu’on touchait un laser, on aurait peut-être fait encore plus attention (ça nous aurait encore plus responsabilisés, et peut-être qu’on se serait un peu moins amusé) !
Et c’est peut-être l’effet que ce texte doit produire sur nous. Dieu veut nous responsabiliser, en nous rappelant que nos actes à l’égard d’autrui, y compris à l’égard des biens d’autrui, ont des conséquences que nous devons être prêts à assumer.
Et cette idée est d’autant plus importante, dans ce texte, que les lois que nous connaissons de cette époque qui proviennent des autres nations prévoyaient une forme de discrimination entre les différentes classes sociales. C’est-à-dire que la responsabilité des gens était « à taux variable » : un esclave qui provoquait un dommage matériel à un notable encourait beaucoup plus de conséquences que l’inverse. Mais il n’y a pas ce genre de distinction dans la loi de Dieu. Tous les gens sont logés à la même enseigne. Tout le monde doit faire attention à ce qui appartient aux autres.
Et nous devons déjà prendre à cœur cette réalité. Parfois on se dit : « Bah, c’est pas grave si je pique cent euros à l’État, de toute façon l’État a plein d’argent ». Ou bien : « Bon je sais bien qu’en tant que commercial, les prix que j’annonce sont largement exagérés, mais bon, c’est le système, tout le monde le fait, c’est comme ça ». Ou encore : « Oui je sais que j’ai rayé la voiture que mon ami m’a prêtée, et alors ? Ce serait ma voiture, ça ne me dérangerait pas ». Ou encore : « C’est pas juste que j’ai pas eu un jouet aussi bien que mon petit frère à Noël, je suis donc totalement dans mon droit de jouer avec son jouet quand il n’est pas là ». Mais vous voyez que ce texte nous enseigne à avoir une attitude différente.
La deuxième chose qu’il faut remarquer, dans ce texte, c’est que la loi de Dieu vise toujours la réparation des torts, la réconciliation des personnes, et même la réhabilitation des coupables.
Et ça aussi, c’est frappant, quand on compare la loi de Dieu avec les lois de certaines autres nations de cette époque. Le Code de Hammurabi, par exemple, condamnait les voleurs, dans un certain nombre de cas, à la peine de mort. Mais pas du tout dans la loi de Dieu. Ce qu’on peut constater dans notre texte, c’est le sens de la proportion, et l’insistance sur la notion de « compensation ». La loi fait la différence entre un dommage accidentel, un dommage par négligence et un dommage par malveillance ; dans tous les cas, le responsable doit assumer sa responsabilité. Il doit payer un dédommagement qui est juste.
Dans le cas d’une négligence, et encore plus dans le cas d’un vol, la compensation intègre une forme d’amende (il ne suffit pas de rembourser le dommage, il faut aussi payer en plus). Le but est double : à la fois de dissuader les coupables et de satisfaire les victimes. Autrement dit : celui qui est tenté par le vol sait qu’il risque de perdre plus qu’il ne gagnera, et celui qui a fait l’objet d’un vol sait aussi qu’il est censé se satisfaire du dédommagement prévu et ne pas laisser libre cours à un désir de vengeance disproportionné.
Bref, en cas de préjudice, on doit rechercher une réparation juste et satisfaisante qui vise, en fait, la résolution du litige.
Vous vous souvenez peut-être qu’en 1994, une dame a fait un procès contre une certaine chaîne de fast-food après s’être accidentellement renversé son café sur elle-même. Le café lui ayant causé des brûlures, elle a accusé la chaîne de fast-food de lui avoir servir son café trop chaud, et à la fin du procès, le jury a condamné le fast-food à lui verser 160.000 dollars en dédommagement « compensatoire », plus 2,7 millions de dollars comme dédommagement « punitif » (finalement, après appel, la plaignante a « seulement » reçu autour de 500.000 dollars).
Plus récemment, j’ai lu un article qui parlait de deux magasins de bricolage qui font chacun l’objet d’un procès parce qu’ils vendent des planches de bois qui ne font pas exactement la taille annoncée sur l’étiquette. Les plaignants demandent plus de 5 millions de dollars comme dédommagement.
C’est un peu disproportionné, quand même, non ? Eh bien ce n’est pas comme ça dans la loi de Dieu. Les compensations sont justes et proportionnées, et elles visent à la fois la juste punition du coupable et la satisfaction raisonnable de la victime, de façon à ce que la situation soit vraiment réparée. Une fois que la justice est rendue, la balance ne penche plus d’un côté ou de l’autre.
C’est pour cela que la loi de Dieu ne permet pas, par exemple, à la victime d’un cambriolage en plein jour de tuer le cambrioleur (v. 2). Ou encore, quand un voleur est pris et qu’il n’a pas les moyens de payer la compensation, il doit se « vendre » lui-même pour rembourser, par son travail (il ne s’expose pas à tous les caprices de la victime).
Chose intéressante encore, quand le voleur n’est pas retrouvé, ou quand il y a un doute sur la responsabilité d’une personne, la loi prévoit qu’on se fie à la parole des personnes concernées (autrement dit, que l’affaire soit portée devant les autorités qui représentent Dieu, et qu’on se satisfasse de l’engagement moral de la personne accusée ou soupçonnée).
On voit en tout cas que le but, c’est de rechercher l’apaisement, la réconciliation, le rétablissement de bonnes relations au sein du peuple. Les coupables doivent être prêts à assumer leurs actes en compensant pour leurs torts ; et les victimes doivent être prêtes à se contenter de cette compensation, et à « effacer l’ardoise ».
Application pour aujourd’hui : non, je ne peux pas casser la figure à ce mec qui a rayé la portière de ma voiture sur le parking de Carrefour. Je ne peux pas tabasser à coups de batte de baseball le gars complètement ivre qui a pénétré dans mon jardin. Je ne peux pas exiger de la part de mon ami qu’il me rachète une guitare neuve parce qu’il a cassé une corde de la guitare que je lui avais prêtée. Je ne dois pas faire la tête toute ma vie à ce frère dans la foi, parce que c’est lui qui gardait mon chien quand celui-ci est mort accidentellement.
Inversement, si j’ai cassé le jouet de mon petit frère, je ne dois pas juste recoller les morceaux avec du scotch ; je dois sans doute lui racheter un jouet neuf, à mes propres frais. Si j’ai abîmé la jante de la voiture de mon ami, je dois au moins m’excuser, lui proposer de la remplacer, cette jante et peut-être l’inviter au restau pour dissiper toute amertume potentielle.
Donc on doit faire attention à ce qui appartient aux autres, et en cas de problème, on doit rechercher, et accepter, une réparation juste et satisfaisante.
Mais ce n’est pas tout. Parce que ce que ce texte pointe avant tout, c’est la disposition générale de notre cœur. Est-ce que nous sommes enclins, naturellement, à proposer une compensation à notre prochain alors que le dommage qu’il a subi est vraiment accidentel (« d’accord, c’est moi qui ai creusé cette citerne, mais en même temps, il m’était impossible d’imaginer que ton bœuf allait passer par là » ; ou bien : « oui, c’est moi qui ai mis le feu à mon champ pour le débroussailler, mais le vent a tourné de façon complètement soudaine et inhabituelle » ; ou bien : « c’est bien moi qui ai accroché ton portail avec ma voiture en arrivant chez toi, mais c’était pour éviter d’écraser ton chat ») ?
Et lorsque nous proposons une compensation, est-ce que nous sommes naturellement enclins à offrir « le meilleur produit de notre champ et le meilleur produit de notre vigne » (v. 4) ? Est-ce que nous sommes enclins à aller au-delà du simple remboursement et à faire plus que juste remplacer le bien qui a été endommagé (« OK, sa voiture est tombée en panne pendant que je lui avais empruntée, elle serait sûrement tombée en panne de toute façon, mais bon ça me fait plaisir, c’est moi qui vais payer la réparation, et en plus je vais complètement la nettoyer avant de lui rendre », cf. v. 13).
Alors honnêtement, est-ce que nous sommes enclins à aller au-delà du simple minimum (comme d’ailleurs le dit Jésus : « Si quelqu’un veut te traîner en justice, et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau », Mt 5.40) ? Non, nous ne sommes pas enclins à faire cela, parce que notre cœur est naturellement orgueilleux et égocentrique. Comme nous le rappelle Metallica dans une chanson intitulée « Sad But True » (Triste mais vrai) :
« Je suis ta vérité, et je te dis des mensonges ; je suis ta raison, et je te fournis tes alibis ; je suis à l’intérieur de toi, ouvre les yeux ; je suis toi ».
Notre cœur est tortueux, il est centré sur nous-même, et nous nous donnons toutes sortes de raisons et d’excuses et de prétextes pour rechercher notre intérêt plutôt que celui des autres. Quoi de plus naturel !
Le problème, c’est que dans une société où tout le monde pense comme ça, il ne peut pas y avoir de paix durable. On répond à un préjudice par un autre préjudice, et on entre dans une spirale interminable de litiges et de rancune, un peu comme dans Astérix chez les Corses, où Astérix demande pourquoi deux clans sont fâchés, et la réponse :
« On ne sait plus très bien. Les vieux disent que le grand oncle d’Ocatarinetabellatchitchix a épousé une fille du clan Talassotérapix dont était amoureux un cousin par alliance d’un aïeul de Figatellix… Mais d’autres assurent que c’est à cause d’un âne que l’arrière-grand-père de Figatellix avait refusé de payer au beau-frère d’un ami intime des Ocatarinetabellatchitchix sous prétexte qu’il était boiteux (l’âne, pas le beau-frère d’Ocatarinetabellatchitchix)… C’est très grave en tout cas ».
Quel est le remède, alors ? C’est Jésus. Le remède à notre cœur orgueilleux et égocentrique, c’est la personne et l’œuvre de Jésus. Quand on considère Jésus, on se rend compte de ce qu’on mérite vraiment, car Jésus est venu de la part de Dieu subir volontairement, à la place des croyants, le châtiment de nos fautes, c’est-à-dire ce que nous méritons par nature. Et ce châtiment a été absolument horrible puisqu’il a consisté à être abandonné, humilié, battu, moqué, torturé et mis à mort sur la croix où même psychologiquement, Jésus a fait l’expérience d’être abandonné de Dieu, comme s’il était en enfer. Voilà ce que nous méritons par nature.
Et quand on en prend conscience, on n’a pas trop envie de défendre ses propres intérêts, parce qu’on se rend compte qu’aux yeux de Dieu, on n’a pas grand-chose à faire valoir ! L’attitude logique, lorsque l’on prend conscience de l’état véritable de notre cœur, et donc de notre culpabilité, c’est plutôt ce que la Bible appelle… la repentance.
La repentance consiste à arrêter complètement de se justifier et à se jeter sans réserve au pied de la croix dans la dépendance de Dieu, sachant que lui seul a le pouvoir de nous pardonner et de nous sauver, sur la base de ce que Jésus seul a accompli par sa mort et sa résurrection.
Et la repentance authentique produit des fruits : d’une part elle produit le salut, c’est-à-dire la certitude que Dieu nous pardonne (cf. 2 Cor 7.10), d’autre part elle produit une attitude différente dans notre relation avec les autres (2 Cor 7.11). Le cœur repentant, le cœur humble et contrit, ne revendique plus rien pour lui-même, et à l’inverse, sachant la grâce qui lui a été faite, il se sait « débiteur » de cette grâce. Endetté envers Dieu, en quelque sorte. Bien que sachant qu’il n’a rien à rembourser, le cœur repentant a envie de faire tout ce qui est en son pouvoir pour plaire à Dieu et pour le servir fidèlement. Le cœur repentant reconnaît perpétuellement ses torts, et bien qu’il sait qu’il ne peut pas rembourser moralement ses péchés, il a envie de faire tout ce qui est en son pouvoir pour les réparer (non pas pour mériter le pardon, mais au contraire, parce qu’il a été pardonné à un grand prix).
Plusieurs commentaires que j’ai lus sur ce passage mentionnent, pour terminer, l’histoire d’un certain Zachée. Ce collecteur d’impôts, petit en taille, qui a rencontré Jésus (Luc 19) et qui a même reçu Jésus dans sa maison. Un homme détesté de tous parce qu’il était malhonnête, ayant dérobé beaucoup d’argent à beaucoup de gens. Mais sous l’effet de la repentance, Zachée déclare à Jésus : « Voici Seigneur, je donne aux pauvres la moitié de mes biens, et si j’ai fait tort de quelque chose à quelqu’un, je lui rends le quadruple » (Lc 19.8). C’est-à-dire que Zachée va bien au-delà de ce qui est prévu dans la loi de Moïse ! Et tel est le fruit d’un cœur bien disposé par l’Évangile de la grâce.
Oui, on doit faire attention à ce qui appartient aux autres ; et oui, en cas de problème, on doit rechercher et accepter une réparation juste et satisfaisante. Mais sous l’effet de la grâce de Dieu, comme on le voit déjà dans l’Ancien Testament, et comme on le voit encore plus clairement dans le Nouveau Testament, nous pouvons aller même au-delà, et arrêter de défendre à tout prix nos intérêts, et rechercher avec zèle, d’un cœur humble et contrit et reconnaissant, l’intérêt de notre prochain. Parce que c’est ce que Dieu a fait pour nous, n’est-ce pas ? Il est allé au-delà de ce qu’exigeait la justice ; il ne nous a pas rétribués pour nos fautes, mais il s’est donné lui-même, par Jésus, dans l’intérêt de notre salut éternel ! Comme nous le chantons parfois :
« Que ta grâce me conduise, Je lui demeure obligé. Tiens mon cœur sous ton emprise, chaque jour, par ta bonté ! Me sachant trop indocile, Trop enclin à te trahir, Puisses-tu, par l’Évangile, Jusqu’au bout me maintenir ! »