Je voudrais vous poser une question très directe : quelle est la nature de votre relation avec Dieu ? Je sais que pour beaucoup de Français, Dieu c’est comme le sexe ou l’argent, c’est un sujet tabou. Ou n’en parle pas ouvertement. Ça ne se fait pas. D’accord. Mais ne pas en parler, ou ne pas même y penser, ça ne fait pas pour autant disparaître l’importance du sujet. L’actualité nous rappelle la fragilité de la vie. Parmi les victimes de l’attentat de cette nuit à Londres, je doute qu’il y en ait eu une qui se disait, en début de soirée, qu’elle était en train de vivre les dernières heures de son existence ici-bas. Et qu’est-ce qui reste, après, sinon la question de notre relation avec Dieu ? Lorsque nos richesses et notre sécurité matérielle nous sont enlevées, lorsque nous perdons la santé et en fin de compte la vie, qu’est-ce qui reste, sinon la question essentielle de savoir si Dieu, pour sûr, nous aime, et va nous accueillir auprès de lui pour l’éternité ? Quelle est donc votre relation avec Dieu aujourd’hui ? Et sur quoi repose-t-elle, votre relation avec Dieu ? Beaucoup de gens supposent que si Dieu existe, il doit être gentil, et puisqu’il est gentil, on n’a pas trop de souci à se faire. La plupart d’entre nous ici, nous n’avons tué personne, nous n’avons même pas cambriolé de banque, nous sommes plutôt intelligents, éduqués et polis, nous savons faire preuve de gentillesse envers nos amis et nos proches. Nous sommes plutôt performants en tant qu’êtres humains, et donc plutôt confiants en nos mérites. Si Dieu existe, on n’a donc pas trop de souci à se faire. Or je voudrais attirer votre attention sur le texte qu’on va lire dans un instant. Dans ce passage, des gens apportent des petits enfants à Jésus pour qu’il les bénisse, et les disciples de Jésus vont provoquer un petit incident, ce qui va donner l’occasion à Jésus de parler, justement, des conditions à remplir pour, dit-il, « entrer dans le royaume de Dieu ». C’est une expression qui peut nous paraître un peu bizarre aujourd’hui, mais qui veut tout simplement dire : « aller au paradis » ! Et ce qu’on va voir à travers ce passage, c’est que pour « aller au paradis », ou pour « entrer dans le royaume de Dieu », ou pour être certain de faire l’objet de l’amour et de la faveur éternelle de Dieu, il ne faut surtout pas s’appuyer sur ses propres mérites ou ses propres atouts ou ses propres performances ; il faut au contraire renoncer à soi-même et compter sur Dieu. Et on va voir ce que ça veut dire plus précisément, et quelle est la pertinence de cette réalité pour le baptême de Madèle aujourd’hui, et aussi pour nous tous.
Il se passe deux choses dans ce texte : d’abord, une indignation, ensuite une invitation. L’indignation, c’est celle de Jésus, mais elle répond à une autre indignation, qui est celle des disciples de Jésus. Ce qui se passe dans le texte, c’est que des gens apportent des bébés à Jésus pour que Jésus les bénisse. Mais les disciples de Jésus s’indignent : « Qu’est-ce que vous faites à apporter des petits enfants à Jésus ? Ils n’ont aucune conscience de qui est Jésus, ils n’ont aucune connaissance de la religion, ils n’ont pas encore eu l’occasion de faire leurs preuves ; en fait, ils s’en fichent même d’être là. Tout ce qui les intéresse dans la vie, c’est pleurer, manger, dormir, et remplir leur couche. Alors arrêtez d’importuner notre maître. » Mais Jésus, nous dit le texte, est lui-même « indigné » par l’attitude de ses propres disciples. Pourquoi ? Parce que cette attitude sous-entend que pour s’approcher de Dieu, il faut d’abord franchir certains paliers. Clairement, un bébé n’a encore rien prouvé en termes de foi, de fidélité, de performance religieuse ou morale. Mais Jésus est indigné qu’on puisse laisser entendre que Dieu accueille seulement les gens qui se montrent à la hauteur.
Le terme « indigné », dans le texte (v. 14), est un terme très fort, qui veut dire « être très mécontent ». C’est la seule fois dans le Nouveau Testament où ce terme est appliqué à Jésus. Et pourquoi Jésus serait-il tellement mécontent ? Parce que ce que les disciples sous-entendent par leur attitude est en contradiction directe avec une réalité fondamentale, qui est au cœur de l’enseignement de Jésus (et de toute la Bible) : c’est que personne ne peut prétendre avoir suffisamment fait ses preuves pour être accueilli par Dieu dans son paradis. Et en empêchant les gens de présenter leurs petits enfants à Jésus, les disciples sous-entendent au contraire qu’on doit d’abord faire ses preuves avant d’être accueilli par Dieu dans son royaume ou son paradis. Vous voyez la contradiction ?
Alors de nos jours, on réfléchit beaucoup comme ça. Il faut obtenir son bac pour pouvoir aller à la fac. Il faut obtenir telle ou telle mention pour pouvoir intégrer telle ou telle grande école. Il faut avoir une certaine expérience professionnelle avant de pouvoir postuler à tel ou tel poste dans l’entreprise. Il faut avoir un casier judiciaire vierge avant de pouvoir devenir ministre ou député sous la présidence d’Emmanuel Macron. Il faut porter une cravate pour manger dans ce grand restaurant étoilé. Parfois, à l’entrée de certains établissements, il y a un panneau où il est écrit : « Tenue correcte exigée ». Il n’y a pas très longtemps, on m’a refusé l’accès à un restaurant près de la plage, parce que je me suis présenté en tongs. Il y avait d’ailleurs à côté de la porte un panneau avec des photos de différentes tenues : d’un côté, les tenues acceptables, de l’autre, les tenues inacceptables. Alors je veux que vous imaginiez si vous vous présentiez à la porte du royaume de Dieu, et qu’il soit écrit sur un panneau : « Tenue correcte exigée ». Sérieusement : quelle tenue serait appropriée pour se présenter à Dieu ? Pas pour se présenter au Pape François ou à Vladimir Poutine ou à la Reine d’Angleterre ou au restaurant le plus chic du monde, mais… à Dieu, qui est le souverain Créateur et régisseur de l’univers tout entier ? Et qui aurait cette tenue dans sa garde-robe ?
Les disciples de Jésus dans ce texte sous-entendent qu’ils l’ont, eux, cette tenue dans leur garde-robe. Peut-être parce qu’ils ont pratiqué fidèlement leur religion, peut-être parce qu’ils se disent qu’ils sont plutôt intelligents, peut-être parce qu’ils n’ont tué personne, peut-être parce qu’ils ont un peu d’expérience dans la vie. Mais Jésus est très mécontent parce qu’il ne veut surtout pas laisser entendre qu’il est possible aux êtres humains de se montrer dignes d’être accueillis dans le royaume de Dieu. Tout l’enseignement de Jésus, et toute la Bible, nous fait comprendre que nous ne pouvons pas par nous-mêmes nous montrer à la hauteur des exigences de Dieu. Pourquoi ? Parce qu’il y a un gouffre qui nous sépare de Dieu, et ce gouffre est dû à un problème qui est enraciné dans notre cœur ; c’est le problème justement de notre autosuffisance. C’est ce que la Bible appelle le péché, c’est-à-dire la disposition de notre cœur qui fait que, fondamentalement, nous voulons nous débrouiller tout seuls. C’est la raison pour laquelle nous ne sommes pas naturellement disposés à faire confiance à Dieu. Et donc même si nous devions consacrer toute notre vie à l’étude de la religion et à la pratique des bonnes œuvres, en se disant que sûrement, à la porte du paradis, notre tenue serait considérée comme acceptable, il y a un prophète de l’Ancien Testament qui nous rappelle que « tous nos actes de justice sont comme un vêtement pollué » (És 64.5) !
Jésus est indigné, donc, qu’on puisse laisser penser que le gouffre qui nous sépare de Dieu n’est pas si profond qu’on ne peut pas le traverser tout seul. Jusqu’ici, ce n’est pas tellement une bonne nouvelle ! Mais l’indignation de Jésus a aussi une portée positive, et c’est le deuxième point de ce message. D’un côté, Jésus rappelle à son auditoire qu’on n’est pas accueilli par Dieu dans son paradis sur la base de nos performances ou de nos mérites ; d’un autre côté, il nous dit comment on entre dans le royaume de Dieu.
Et c’est là l’invitation de ce passage. Jésus dit que le royaume de Dieu est pour ceux qui ressemblent aux petits enfants. On entre dans le royaume de Dieu en recevant le royaume de Dieu « comme un petit enfant » (v. 15). Qu’est-ce que ça veut dire ? Tout simplement, ça veut dire l’inverse de ce que les disciples sous-entendaient. On n’entre pas dans le royaume de Dieu en s’appuyant sur ses propres performances, mais au contraire en ne s’appuyant pas sur ses propres performances. Pourquoi Jésus peut-il dire cela ? Parce que Jésus est bien placé pour savoir ce que Dieu a prévu pour que les êtres humains soient délivrés de ce problème qu’ils ont dans leur cœur, que la Bible appelle le péché, et qui les tient éloignés de Dieu. Jésus, au moment où il prononce ces paroles, il sait que quelque temps plus tard, il va être abandonné par tous ses proches, il va souffrir terriblement, il va être battu, humilié, et enfin crucifié. Et la raison pour laquelle il va endurer ces choses, c’est justement pour détourner sur lui-même les conséquences de notre autosuffisance. À un moment donné, sur la croix, Jésus pousse un cri de détresse, et il dit :
« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mc 15.34)
À ce moment-là, on voit que Jésus fait l’expérience de cette séparation d’avec Dieu, que nous méritons (et même que nous recherchons par nature, à cause de notre péché), pour que nous puissions en échange être réconciliés avec Dieu et faire l’objet de son amour et de sa faveur éternelle. Et donc, la moralité de l’histoire, c’est que nous ne pouvons pas par nous-mêmes faire ce qu’il faut pour être accueillis par Dieu dans son paradis, mais Jésus, qui en était capable, l’a fait pour nous.
Et comment est-ce qu’on reçoit ce cadeau incroyable ? Jésus le dit : en le recevant « comme un petit enfant ». Quand Jésus dit ça, il ne veut pas dire en poussant un caprice, en tapant des pieds, en hurlant et en retenant sa respiration jusqu’à ce qu’on obtienne ce qu’on veut. « Comme un petit enfant », ça désigne plutôt une attitude de dépendance totale. Quand on y pense, c’est très frappant, la façon dont un bébé n’essaie pas de mériter sa nourriture. Rien ne lui paraît plus normal que de voir une cuillère remplie de purée s’approcher de sa bouche. Rien ne lui paraît plus normal qu’on lui change sa couche, ou qu’on lui donne le bain, ou qu’on le soulève pour le mettre dans la poussette. Le petit enfant ne s’appuie pas sur ses propres performances pour obtenir tous ces bienfaits. Ils lui sont offerts, et tout ce qu’il a à faire, le bébé, c’est les recevoir de façon confiante et docile. Il est dépendant, et il le sait, et il l’accepte. Il ne peut rien contribuer à sa propre santé ou à sa propre sécurité.
Et de la même façon, Jésus veut que nous prenions conscience que nous ne pouvons rien contribuer par nous-mêmes à notre place dans le paradis. Comme l’a dit un jour un grand théologien :
« Tu ne peux rien contribuer à ton salut, sinon le péché qui l’a rendu nécessaire. » (Jonathan Edwards)
C’est Dieu qui s’est occupé de notre salut à notre place ; c’est-à-dire qu’il s’est occupé de nous ouvrir la porte de son royaume, et il nous offre ce royaume, et nous pouvons le recevoir par la foi. C’est-à-dire en ne nous appuyant pas sur nos propres performances, et en nous appuyant à la place, totalement, sur Dieu, en raison de ses promesses, et en raison de ce qu’il a accompli par Jésus à la croix.
Il est possible que jusqu’à aujourd’hui, vous pensiez que Dieu, s’il existait, vous récompenserait pour votre performance dans la vie, une performance qui est sans doute au-dessus de la moyenne ! Le moment est venu aujourd’hui de reconnaître que ni vous, ni moi, n’avons dans notre garde-robe une tenue suffisamment correcte pour entrer dans le royaume de Dieu. Le moment est venu de renoncer à nous appuyer sur nos propres mérites ou sur nos propres atouts ou sur nos propres performances, et de demander pardon à Dieu d’avoir cherché à nous débrouiller tout seuls dans la vie, et de revenir, comme un petit enfant, auprès de ce Père bienveillant qui n’attend qu’une chose : c’est que nous lui fassions confiance, et que nous le laissions conduire notre vie jusque dans l’éternité.
Voilà pourquoi je vous posais cette question un peu directe, tout-à-l’heure : quelle est la nature de votre relation avec Dieu ? Et sur quoi repose-t-elle, votre relation avec Dieu ? C’est vrai que nous sommes plutôt performants en tant qu’êtres humains, et donc nous pensons avoir quelques mérites à faire valoir. Et Dieu, s’il existe, il est forcément gentil, alors on a toutes nos chances d’entrer dans le paradis ! Mais on a vu deux choses dans ce texte : d’une part l’indignation de Jésus qui ne veut surtout pas laisser penser que Dieu accueille les gens qui se montrent à la hauteur, puisqu’il est impossible d’être à la hauteur des exigences de Dieu, quels que soient notre âge, notre maturité, notre intelligence, notre expérience ou notre zèle religieux. Mais d’autre part l’invitation de Jésus qui nous rappelle que ce paradis que nous ne sommes pas capables de mériter, Jésus l’a mérité pour nous, à notre place, et il nous l’offre à condition que nous lui fassions confiance au point de lui remettre les rênes de notre vie. Comme je le disais en introduction : toute la leçon de ce passage, c’est que pour être certain de faire l’objet de l’amour de Dieu et de sa faveur éternelle, il faut renoncer à soi-même et compter sur Dieu. Jésus met les points sur les « i » à la fin de ce passage, en embrassant ces petits enfants, en les bénissant et en leur « imposant les mains », ce qui est un geste extrêmement significatif pour ce qui concerne l’attention particulière que Dieu leur porte. Et dans quelques instants, c’est Madèle qui va recevoir le signe de cette attention particulière de Dieu, par le baptême. Cette petite Madèle va nous rappeler que le royaume de Dieu n’est pas réservé aux gens qui arrivent à faire leurs preuves. Madèle reçoit aujourd’hui le signe par lequel Dieu dit : « Tout a été accompli par Jésus. Ni Madèle, ni ses parents, ne sont capables de contribuer quoi que ce soit à leur salut. C’est moi, dit Dieu, qui ai ouvert la porte de mon royaume ; c’est moi qui ai appelé les parents de Madèle, et ils ont répondu par la foi ; c’est moi qui ai donné la vie à Madèle et qui l’ai confiée à ses parents, et c’est moi qui adresse à Madèle, en raison de son appartenance à un foyer chrétien et à l’église, cet appel solennel à entrer à son tour dans mon royaume par la foi. La foi dont elle est déjà en quelque sorte le modèle, Madèle ! À savoir cette foi, cette confiance, cette dépendance… qui sont celles d’un petit enfant. »