Nicholas Ferrar est né vers la fin du 16ème siècle à Londres. Londres à son époque, c’était le Londres de Shakespeare et aussi le Londres de la peste et de la pauvreté. La famille de Ferrar était chrétienne dans la tradition Anglicane, et depuis un très jeune âge Ferrar était sérieux dans son engagement envers Dieu et l’église. Après ses études en médecine à l’université de Cambridge et une brève carrière dans le gouvernement, Ferrar a renoncé à sa vocation pour être consacré diacre dans l’église. Il n’a jamais été pasteur, ni prêtre, mais plutôt diacre. Son ministère consistait à prier plusieurs heures par jour. En plus, il coordonnait la distribution du gruau (de la nourriture) aux pauvres de son quartier, il a établi une école pour enseigner des métiers aux gens pour qu’ils gagnent (gagnassent !) leur vie, et il a été « fitness coach » pour les autres diacres en les encourageant à faire de l’exercice physique associé à un régime alimentaire pour promouvoir la minceur…pourquoi pas. Voilà le travail d’un des nombreux diacres de l’histoire de l’église.
Alors, mon objectif dans cet exposé est d’aborder le côté historique des diacres et le rôle qu’ils ont joué dans la vie de l’église à travers les siècles. Mais en faisant mes recherches sur le sujet, j’ai découvert plus d’ambiguïté que de clarté concernant des diacres et leur rôle dans l’histoire. Certaines églises n’ont pas de diacres. D’autres ont des diacres au lieu des anciens. Certaines unions d’églises avaient vu le diaconat plus comme un tremplin vers un ministère plus sérieux et non pas comme un office essentiel de l’église. Pour certaines assemblées, les diacres sont les gars qui rangent les chaises après le culte et qui nettoient les WC. Pour d’autres, les diacres ont une grande responsabilité administrative et un devoir de servir un peu comme des ambassadeurs dans leur communauté. Et donc, en recherchant le côté historique de comment les églises comprennent et pratiquent le ministère des diacres, j’ai vu beaucoup de diversité, mais pas beaucoup de clarté. Je pense que la raison de cette diversité, c’est parce que la Bible laisse la question assez ouverte. Et pour cette raison, je voudrais mêler à mon étude historique quelques réflexions linguistiques et théologiques sur le mot « diacre » et sur le sens que ce mot a dans la Bible avant d’examiner plusieurs exemples historiques. Tout ça pour dire que mon étude de l’aspect historique des diacres doit commencer dans l’histoire du NT. Je pense que notre compréhension de comment le ministère des diacres s’est manifesté est lié à comment l’église a développé sa théologie sur ce sujet.
Et donc, moi je vais poser des questions sans fournir beaucoup de réponses. Je vais semer un peu de désordre théologique et laisser Alex et Denis faire le nettoyage.
Quand on examine le ministère de Nicolas Ferrar tel que je l’ai rapporté tout-à-l’heure, on observe plusieurs choses : sa piété religieuse, son engagement au service de sa ville, et son intérêt pour le bien-être des autres. C’est ce qu’on imagine normalement quand on réfléchit au ministère d’un diacre. Et tous ces aspects du ministère d’un diacre se voient dans le récit biblique.
Le nom diakonos (qui se traduit ministre ou serviteur) apparait 29 fois dans le NT. Sous la forme diakonia (ministère ou service) ce mot apparait 34 fois. Et le verbe diakoneo apparait 37 fois à son tour. Cent fois au total. Mais est-ce que c’est important ? Eh bien c’est important parce qu’avec la fréquence de ce mot vient une diversité de sens, qui dépend du contexte.
Le mot diakonos sous ses formes différentes nous permet de comprendre ceci : selon la Bible le ministère d’un diacre est un ministère à part (un office) qui est pratiqué sous une autorité supérieure et à la suite d’un mandat dont l’objet est l’accomplissement d’une mission centrée sur le plan rédempteur de Dieu.
Pour comprendre l’histoire des diacres il faut commencer par Jésus. Prenons donc Marc chapitre 10 versets 43-45. « … quiconque veut être grand parmi vous, sera votre serviteur ; et quiconque veut être le premier parmi vous, sera l’esclave de tous. Car le fils de l’homme (Jésus) est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour beaucoup. » Jésus est venu, non pour être diakoneo (διακονηθῆναι), mais pour diakoneo (διακονῆσαι). Jésus est venu pour servir, mais quel est ce service qu’il est venu faire ? La deuxième partie de ce verset nous dit que son service est lié à son sacrifice.
Il y a dans le contexte un aspect d’humilité dans le diakonia de Jésus. Jésus n’est pas venu pour recevoir les petits soins et les bons traitements qu’attendait la noblesse vaine et inactive de l’époque. Il est venu pour servir. Mais les disciples ne l’ont pas compris. Le contexte de Marc 10 nous décrit le désir de Jacques et de Jean de profiter de la gloire de Jésus en faisant l’objet du service des autres. Mais Jésus leur rappelle que Dieu veut des diakonoi. Dieu cherche des serviteurs. Et donc, Jésus, par son diaconat, est devenu l’exemple par excellence d’un humble serviteur. Il est venu dans l’humilité.
Mais il y a plus. Qu’est-ce que c’est exactement le service de Jésus ? En fait, c’est un service de mission. Le diakonia de Jésus a été la croix ou il a donné sa vie comme rançon pour beaucoup. Jésus n’est pas venu dans le monde pour être un gentil enseignant, ou pour être un doux guérisseur, ou pour ranger les chaises après le culte. Il est venu pour défaire les conséquences du péché, pour accomplir la justice, et pour réconcilier l’homme et Dieu. Et donc, le verset 45 ne nous présente pas, en fait, deux idées séparées : Jésus le serviteur et Jésus le sacrifice. Ce texte nous dit plutôt que Jésus a servi en devenant le sacrifice―c’est une seule idée complète. Le diakonia de Jésus était une mission que le Père lui a donnée. C’était une mission accomplie sous l’autorité du Père. Son ministère était un ministère à part qu’il a pratiqué sous une autorité supérieure et à la suite d’un mandat dont l’objet était l’accomplissement d’une mission centrée sur le plan rédempteur de Dieu. Mais le texte ne dit jamais que Jésus était un diakonos (et dans Romains 15.8 ?) Il n’est pas défini comme un diacre au sens technique. Et donc, ce n’est pas tout-à-fait correct de dire que Jésus était un diacre officiel de l’église. Mais il a pratiqué, quand même, un ministère de diakonia.
Ça c’est un exemple. Ensuite, on peut se tourner vers Actes chapitre 6 pour mieux comprendre le ministère des diacres dans l’église primitive. Bien que je laisse l’exposition pastorale de ce texte à Denis, je voudrais quand même essayer de brièvement situer ce texte dans son contexte historique afin de mieux comprendre le développement de ce ministère. Encore une fois, je vais soulever quelques difficultés d’interprétation et laisser à Denis le dernier mot, demain après-midi.
Le texte d’Actes 6.1-7 raconte comment les veuves hellénistes (ou grecques) ont été négligées dans le diakonia, ou le service quotidien. Puisque les apôtres n’avaient pas le temps de se consacrer à diakoneo (servir), ils ont choisi 7 hommes remplis de l’Esprit et de sagesse pour accomplir cette tâche.
Quelques remarques alors pour stimuler la réflexion. D’abord, les 7 hommes d’Actes 6 ne sont jamais appelés des diacres. Le nom diakonos n’est jamais employé dans ce texte. Ensuite, je voudrais suggérer que la fonction exacte de ces 7 hommes n’est pas si claire dans le texte qu’on a tendance à le penser. Et je voudrais faire quelques remarques sur ce problème. La majorité des chrétiens dans l’église de Palestine au premier siècle, c’était des personnes juives qui parlaient Araméen. Ça pourrait expliquer pourquoi les grecs avaient l’impression d’être négligés. Moi, j’ai l’impression qu’il existe plus d’enjeux ici que juste la distribution du pain ou le service aux tables. Après tout, on peut facilement donner du pain à n’importe qui malgré leur langue ou leur culture. On n’a pas besoin d’hommes remplis de l’Esprit et de sagesse juste pour déposer un panier de baguette sur une table. Il est possible que le problème se présente quand la distribution du pain est accompagnée d’autres ministères dont les veuves grecques ne bénéficiaient pas à cause des malentendus linguistiques et culturels : par exemple, l’enseignement biblique et l’administration des sacrements, etc. Il est donc possible que la question de la langue et de la culture a créé une barrière entre les Hellénistes et les Hébreux. Le verset 7 est aussi très important parce que ça nous montre que le contexte (et même le résultat) de la consécration des 7 hommes était lié à l’annonce de l’évangile et à la croissance de l’église. La suite d’Actes 6, jusqu’au chapitre 8, raconte les exploits missionnaires des « diacres » mentionnés dans ce texte.
Donc, qu’est-ce que cela veut dire ? Soit que les 7 hommes d’Actes 6 ne sont pas des diacres mais plutôt des assistants des apôtres ; soit qu’ils sont des diacres, mais avec une définition du ministère de diacre qui consiste en quelque chose de plus que simplement du service matériel, et qui s’étend au ministère de la parole et à un ministère d’administration.
Pour mettre tout ça en perspective, imaginez que notre église continue de grandir jusqu’au point où, dans 10 ans, nous avons 300 membres. 80% de ces membres sont des francophones. Mais 20% sont des immigrés qui ne parlent que l’arabe. Cela veut dire que cette minorité ne comprend pas la prédication, ni la bénédiction de la Sainte-Cène. Ils ne reçoivent pas le bénéfice entier de la communion fraternelle et leur voix n’est pas entendue lors des discussions et des décisions de l’église. Et donc, les anciens trouvent quelques hommes qui sont mûrs dans la foi et qui parlent français et arabe, et ils consacrent ces hommes pour relier le contenu de la prédication, pour être un lien entre ces deux cultures et pour mieux intégrer ces personnes dans la langue, la vie, et la culture de l’église, et pour accompagner ces personnes dans leur démarche spirituelle.
Pour prendre un autre exemple, imaginez qu’il y a plusieurs personnes âgées ou malades qui ne peuvent pas sortir de leur maison pour assister au culte. Les anciens sont tellement pris par leurs obligations d’enseignement et d’accompagnement pastoral qu’ils ne peuvent pas visiter chaque personne chaque semaine pour re-prêcher le message de dimanche. Et donc, ils consacrent quelques personnes de l’assemblée pour visiter ses personnes, pour les aider avec des tâches quotidiennes et pour étudier la Bible avec eux, etc. Ça pourrait être un autre exemple de ce qu’on observe dans Actes 6.
Alors, je reviens à la question : les sept étaient-il des diacres ? Ma réponse : à vous de voir. Je pense que d’une certaine manière, oui. Mais surtout, les textes qu’on a examinés brièvement qui parlent du ministère de Jésus et des chrétiens du premier siècle, nous suggèrent qu’un diakonos est plus qu’un serviteur qui range des chaises et qui distribue la collation après le culte. J’ai l’impression que le ministère d’un diacre est un ministère à part qui est pratiqué sous une autorité supérieure et à la suite d’un mandat dont l’objet est l’accomplissement d’une mission particulière liée à l’évangile. Le ministère d’un diacre pourrait être motivé par les besoins des gens, mais ce n’est jamais séparé du mandat que Dieu donne à son église de porter l’évangile, et les applications pratiques de l’évangile, aux gens.
Avant de passer aux exemples extrabibliques du diaconat, je voudrais vous signaler la présence d’une femme-diacre mentionnée dans l’épitre de Paul aux Romains, chapitre 16. Phoebé a été diaconesse. L’église, et l’apôtre Paul en particulier, lui ont confié une certaine responsabilité pour accomplir son service avec l’aide des chrétiens de Rome.
Dans les textes de Marc et Actes qu’on a brièvement examinés, le travail de service (diakonia) est décrit, mais le nom « diacre » n’est pas attribué aux personnes qui ont servi. Ici, en Romains 16, Phoebé est nommée diaconesse de l’église, mais il n’y a pas d’indication très claire concernant son travail spécifique. On sait qu’elle a été mise à part pour son ministère. On sait qu’elle a aidé l’apôtre Paul, probablement en portant sa lettre à Rome. On sait qu’elle a aidé beaucoup de personnes qui étaient dans le besoin. Mais à part ça, on n’a pas trop de détails.
Tout ça pour dire que la Bible laisse ouverte certaines questions concernant le ministère des diacres.
Même s’il y a de l’ambiguïté dans le NT concernant l’office et la fonction des diacres, 1 Timothée nous montre clairement que les diacres servent dans un rôle important mais différent des anciens. Dans la Bible et dans l’histoire de l’église, ceux qui s’engagent dans le ministère de diakonia sont des gens qui aiment le Seigneur, qui sont mûrs dans la foi, qui connaissent la parole, qui prennent soins des besoins physiques et spirituels des gens, qui sont disponibles et attentifs et qui aident les anciens pour le bon fonctionnement de l’église locale, et pour qu’elle maintienne un bon rapport avec les gens de l’extérieur de l’église. Selon certaines correspondances qui remontent aux premiers siècles de l’église, les diacres avaient une grande responsabilité administrative qui consistait à diriger les affaires des évêques et à gérer les propriétés de l’église.
Grâce à leur fonction dans l’église, les diacres ont contribué à la transformation du monde pour le bien. C’était par le diakonia de l’église primitive que le soin médical et l’aide aux pauvres a été répandu dans le monde antique. Le diakonia général de l’église a fondé des universités et il a influencé des gouvernements pour le bien de la société.
Au 4ème siècle, l’empereur Julien l’apostat, a lamenté le fait que les chrétiens, qu’il détestait, étaient restés dans la ville d’Alexandrie pour aider les victimes de la peste quand ses camarades païens ont abandonné la ville. La pratique grecque, défendue par Platon, qui consistait à abandonner les esclaves malades jusqu’à ce qu’ils meurent, a été inversée par les diacres chrétiens dans l’église primitive. Les diacres de l’église ont résisté aussi à la pratique grecque d’infanticide contre les orphelins et les enfants faibles et malades. Plusieurs théologiens de l’église, comme Tertullien, Justin Martyr et Basile, parlent de certaines églises qui ont gardé et protégé des orphelins, sous la responsabilité des diacres. Depuis le début de l’église, les chrétiens ont pris en charge des malades, des orphelins et des personnes âgées en suivant le conseil de l’apôtre Jacques, en Jacques chapitre 1 verset 27, qui dit : « La religion pure et sans tache, devant Dieu le Père, consiste à visiter les orphelins et les veuves dans leurs afflictions, et à se garder des souillures du monde. »
Ces pratiques se traduisent aujourd’hui par des associations bénévoles qui luttent contre le trafic d’êtres humains, et par des associations qui aident les immigrés et les personnes seules. C’était (et c’est) souvent les diacres de l’église qui se sont engagés pour organiser des programmes bénévoles et sociaux (ça fait partie de leur service). Mais contrairement aux programmes sociaux gouvernementaux, les diacres fournissent une aide qui est accompagnée d’amour pour les gens et du désir de prendre soin, par-dessus tout, de l’âme des gens.
Le diaconat de l’église à travers l’histoire a fait pour les gens ce que les gouvernements n’ont pas pu faire. Malheureusement, selon certaines sources, au 3ème siècle le diaconat a commencé à disparaître à cause de l’idée selon laquelle le diaconat n’était qu’un tremplin vers le ministère plus important des anciens et des prêtres.
Mais malgré ces tendances vers la disparation des diacres, quelques diacres notables se font remarquer dans l’histoire. Le diacre Laurent de Rome, est connu pour son aide envers les pauvres. Il a été mis à mort par l’empereur Valérian en 258, en étant rôti sur un gril. Le travail principal de Laurent était de fournir de l’aide aux personnes pauvres et malades qui avaient été abandonnées par la société.
Un autre diacre notable s’appelle Ephrem de Nisibis. Il a composé des cantiques et des poèmes pour l’église. En plus, il a écrit quelques tommes de théologie dans la langue Syriaque au 4ème siècle. Donc, ici on voit un service orienté vers l’enseignement et l’organisation liturgique. Mais le diaconat n’était pas limité aux hommes. Il y avait une femme qui s’appellait Radegund, la reine des Francs, qui a été consacrée diaconesse au 6ème siècle. On ne sait pas trop ce qu’elle a fait. Mais tout comme le diaconat de Radegund, la consécration de la femme de l’évêque de Ravenne, comme diacre, est aussi mentionnée au 8ème siècle.
Alors, le diacre le plus célèbre du moyen âge était François d’Assise. Il est venu d’une famille riche, mais après avoir eu une expérience religieuse, il a renoncé à son héritage et s’est embarqué dans une vie de pénitence. Tout nu, il a parcouru son pays en réparant des chapelles et des églises qui étaient dans un état délabré et vétuste. Il a vécu dans la pauvreté pour pouvoir assister les pauvres. À un moment donné, il a repris l’habitude de porter des vêtements (heureusement) et il a écrit des cantiques et des prières. C’est lui qui a fondé l’ordre franciscain.
Je cite ces exemples historiques des diacres pour vous faire comprendre qu’il y a beaucoup de diversité et d’ambiguïté dans le ministère des diacres à travers l’histoire. Certains exemples peuvent servir comme exemple pour nous, d’autres exemples moins. Mais ça nous montre que les diacres ont une place importante dans la vie de l’église.
Je suggère qu’en établissant un diaconat dans l’église locale, il faut se méfier de la tendance de faire du diaconat un office de tâches inférieures. En plus, il faut se garder contre la tendance de détourner les diacres de leur service en faisant du diaconat une simple extension du ministère d’anciens. Le travail du diacre est façonné par les besoins de la communauté et par la mission qui consiste à porter l’évangile aux gens. Les aides et les programmes sociaux de l’État ne peuvent pas remplacer le ministère du diacre parce que les programmes sociaux opèrent sous une imposition forcée et pas par un esprit de générosité et d’amour pour les gens. Nous avons besoin des diacres plus que jamais. La société a besoin de diacres pour leur communiquer l’amour et la vérité chrétienne par leur service qui est pratiqué sous l’autorité de Christ (et en son nom) et à la suite d’un mandat dont l’objet est l’accomplissement d’une mission particulière pour le bien de l’église et des gens à l’extérieur de l’église. Le diaconat est une fonction évangélique qui aide les gens dans leur réception de la parole et dans leurs besoins. La Bible et l’histoire nous montrent que c’est un rôle qui s’adapte en fonction des besoins de l’église mais qui est centré sur Christ et sur la mission chrétienne.