Seriez-vous d’accord que toutes les pensées de votre cœur soient connues de votre entourage ? Que tout ce qui se passe dans votre cœur soit connu de tous ? Est-ce que vous seriez d’accord que vos amis sachent exactement ce que vous pensez d’eux ? Qu’ils soient au courant de tous les petits défauts que vous voyez chez eux, de toutes les critiques que vous avez à formuler sur leurs choix de vie ?
Ça vous gênerait que tout cela soit dévoilé au grand jour ? Oui, c’est normal, l’être humain est un champion de la critique et du jugement des autres et on serait bien gêné que tout ce que l’on pense de notre prochain soit connu de lui.
Le philosophe Blaise Pascal décrit la vie humaine en ces termes :
« On ne fait que s’entre-tromper et s’entre-flatter. Personne ne parle de nous en notre présence comme il en parle en notre absence. L’union qui est entre les hommes n’est fondée que sur cette mutuelle tromperie ; et peu d’amitiés subsisteraient, si chacun savait ce que son ami dit de lui lorsqu’il n’y est pas. »
C’est un triste constat mais il est très réaliste sur l’état du cœur humain et des relations humaines.
Jésus était lui aussi tout à fait conscient de l’état du cœur humain et de notre tendance naturelle à juger les autres, à critiquer et à toujours voir les problèmes chez les autres mais jamais chez soi. C’est pour cela qu’il a donné à ses disciples l’enseignement que nous allons lire à présent. Ce qu’il leur a dit en résumé c’est que la vie d’un disciple de Jésus Christ se manifeste par une attitude pleine de grâce et de miséricorde.
Cet enseignement de Jésus fait partie du fameux sermon sur la montagne que nous retrouvons aussi dans l’évangile de Matthieu, chapitres 5 à 7. Luc rapporte quelques éléments de ce discours et insiste surtout sur l’attitude pleine d’amour qui doit caractériser le croyant, à tel point qu’il doit même aimer ses ennemis et leur faire du bien (v. 27-28 et 35). Jésus énonce aussi dans ce discours ce qu’on appelle parfois la règle d’or :
« Ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le de même pour eux. » (v. 31)
Et Jésus continue ce discours avec la section que nous venons de lire, en disant à ses disciples que l’attitude globale du chrétien doit être caractérisée par la grâce et la miséricorde. Et ça commence concrètement par faire preuve de bienveillance, c’est-à-dire chercher à excuser l’autre plutôt qu’à le juger et le condamner.
C’est l’idée qui est présente derrière la gradation que nous voyons aux versets 37 et 38. Je dis qu’il y a comme une gradation car il y a deux préceptes négatifs, ne jugez pas, ne condamnez pas, puis deux préceptes positifs pour nous dire : mais au contraire, soyez toujours prêts à absoudre (qui veut plus ou moins dire pardonner) mais pas seulement cela, soyez même prêts à donner (faites preuve de générosité).
Et je pense que nous pouvons facilement reconnaître que dans notre nature humaine nous avons plus naturellement tendance à juger et à condamner, plutôt qu’à pardonner et à donner.
Quand un ami vous pose un lapin, quand un collègue arrive en retard à un rendez-vous. Quelle est votre réaction première ? Vous lui en voulez et vous l’accusez dans votre cœur, ou est-ce que vous lui cherchez d’emblée des excuses, est-ce que vous lui pardonnez avant même qu’il vous ait donné une explication ? Quelles sont les pensées qui vous viennent à l’esprit et le comportement que vous adoptez face à une personne qui commet le mal ? Est-ce que vous cherchez à ce que cette personne soit condamnée, à ce qu’elle paye pour ses fautes, ou est-ce que vous cherchez à lui pardonner, voire à être généreux envers elle ?
Quelle serait votre réaction face à un ouvrier qui est intervenu chez vous et qui en a profité pour voler un objet de valeur ? Est-ce que vous le dénonceriez à son patron pour qu’il soit licencié ? Comment agiriez-vous dans cette circonstance ?
Je dois avouer avec honte que lorsque je ne retrouve pas les clés de la voiture, mon portefeuille ou mon casque de vélo, mes premières pensées accusent Maïlys, mon épouse. Je cherche quasi-naturellement à l’accuser alors qu’elle n’est la plupart du temps pour rien du tout dans la perte de ces objets. Mais ma première réaction c’est de l’accuser, pas toujours verbalement, car je vous décris ce qui se passe au niveau de mes pensées. Et je lutte avec ça.
Jésus veut corriger cette tendance naturelle chez ses disciples et il nous donne un commandement qui est assez clair dans ce passage : Ne jugez pas, ne condamnez pas. (v. 37)
Est-ce que cela veut dire qu’il n’y a aucune place pour le jugement dans la vie d’un chrétien ?
Eh bien non, ce n’est pas un absolu que Jésus est en train d’enseigner. Ici, il est en train de donner des principes qui doivent régir les relations interpersonnelles, notre attitude générale envers autrui. Jésus nous interdit tout esprit de critique surtout si on est hypocrite et que l’on croit que l’on est mieux que les autres. Les versets 41 et 42 (l’histoire de la poutre et de la paille) éclairent ce commandement : Jésus s’élève contre ceux qui condamnent sans témoigner de la pitié, tout en étant aveugles sur leur propre état. Jésus interdit les jugements pleins de dureté, et tout manque de grâce.
Mais il ne faut pas confondre ces jugements-là avec le jugement entre le bien et le mal qui est recommandé par l’Écriture.
« Examinez ce qui est agréable au Seigneur ; et ne prenez point part aux œuvres infructueuses des ténèbres, mais plutôt condamnez-les ». (Ép 5.10-11)
Le chrétien doit condamner le mal mais sans soupçonner les motifs et les mobiles et sans porter atteinte à la personne, au pécheur. En fait nous devons éviter de juger les intentions d’autrui.
Il y a aussi une place pour juger les ministères : lorsqu’un prophète parle, lorsque quelqu’un parle au nom de Dieu, les autres sont appelés à juger, c’est-à-dire apprécier si ce qui est dit vient vraiment de Dieu (voir 1 Corinthiens 14.29). Nous sommes appelés à juger la saine doctrine et à reconnaitre les faux-prophètes (voir Matthieu 7.15-20 ; Galates 1.8-9). Il y a aussi une place pour la discipline ecclésiale. En Matthieu 18.15-20 :
« Si ton frère a péché, va et reprends-le entre toi et lui seul. S’il t’écoute, tu as gagné ton frère. Mais, s’il ne t’écoute pas, prends avec toi une ou deux personnes, afin que toute l’affaire se règle sur la déclaration de deux ou de trois témoins. S’il refuse de les écouter, dis-le à l’Église ; et s’il refuse aussi d’écouter l’Église, qu’il soit pour toi comme un païen. »
Et ce n’est pas un manque d’amour que de juger dans cette circonstance, c’est tout l’inverse. C’est pour que la personne se détourne de sa mauvaise voie.
Et il y a même une place pour juger certains conflits qui surviendraient entre des membres de l’église. (Voir 1 Corinthiens 6.1-8 et la prédication associée sur le site internet de l’église dont le titre est Laver son linge sale en famille)
Ce principe de ne pas juger n’est pas un absolu, car il y a des exceptions, mais notre attitude et nos pensées doivent tout de même être caractérisées par la bienveillance, par le non-jugement. Nous ne pouvons pas sonder les cœurs et par conséquent nous ne pouvons pas savoir ce qui pousse réellement une personne à agir comme elle le fait. Alors abstenons-nous de jugement et de condamnation.
Nous devons nous inspirer de l’attitude de Jésus qui n’est pas venu sur terre pour juger le monde mais pour le sauver, pour qu’il puisse bénéficier de la grâce et du pardon de Dieu.
« Dieu, en effet, n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour qu’il juge le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. » (Jn 3.17-18)
Jésus établit aussi ici un principe de réciprocité : « ne jugez pas et vous ne serez pas jugés », « absolvez et vous serez absous ». Ça pourrait donner l’impression d’une justice de Dieu basée sur nos œuvres, avec une forme de rétribution. Mais L’Écriture est claire pour dire que nous sommes pardonnés gratuitement et inconditionnellement.
« En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui écoute ma parole, et qui croit à celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle et ne vient point en jugement, mais il est passé de la mort à la vie. » (Jn 5.24)
« Il n’y a donc maintenant aucune condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ. » (Rm 8.1)
Quand nous reconnaissons notre péché et que nous reconnaissons que Jésus a porté le poids de nos fautes en mourant à la croix, pour que nous n’ayons pas à subir nous-mêmes la condamnation, nous sommes déclarés justes devant lui et nous sommes délivrés de la condamnation du péché et de la mort. Aux yeux de Dieu, le jugement ne repose plus sur notre tête puisque c’est sur Jésus qu’il s’est abattu, à notre place. C’est le principe de la justification. Nous sommes déclarés justes par Dieu, en vertu de l’œuvre que Jésus a accomplie pour nous.
Dans ce passage il n’est pas question de justification, il n’est pas question de salut. Le pardon dont il est question n’est pas le pardon judiciaire de Dieu, celui qui fait que Dieu nous déclare justes. Le pardon dont il est question est appelé par certains commentateurs le pardon parental (ce n’est pas un terme théologique), mais c’est pour signifier qu’il s’agit du pardon que Dieu accorde lorsque nous nous repentons des péchés que nous continuons à commettre dans notre vie de tous les jours (voir 1 Jean 1.9). Et d’ailleurs ce terme d’absoudre, ne désigne pas vraiment le pardon, il veut dire littéralement : relâcher, délivrer, libérer, renvoyer (apoluo en grec).
En tout cas il faut comprendre cette réciprocité un peu comme cette phrase de la prière du Notre Père :
« Pardonne-nous, comme nous pardonnons aussi ceux qui nous ont offensés. » (Mt 6.12)
Le principe que Jésus établit ici c’est que la manière dont nous agirons servira de mesure à l’action de Dieu. On ne peut recevoir quoi que ce soit de Dieu sans être prêt à faire de même à ceux qui désirent recevoir la même chose. « On vous mesurera avec la mesure dont vous vous serez servi » (v. 38). Et la mesure bien serrée, secouée et même débordante versée par Dieu laisse supposer que la réponse de Dieu sera même bien plus généreuse que celle de son disciple. Ceux qui donnent avec libéralité seront généreusement et richement récompensés.
Ce que Jésus veut simplement dire, c’est que nos actions nous retombent dessus d’une certaine manière.
« Ne vous y trompez pas : on ne se moque pas de Dieu. Ce qu’un homme aura semé, il le moissonnera aussi. Celui qui sème pour sa chair moissonnera de la chair la corruption ; mais celui qui sème pour l’Esprit moissonnera de l’Esprit la vie éternelle. Ne nous lassons pas de faire le bien ; car nous moissonnerons au temps convenable, si nous ne nous relâchons pas. Ainsi donc, pendant que nous en avons l’occasion, pratiquons le bien envers tous, et surtout envers les frères en la foi. » (Ga 6.7-10)
« Sachez-le, celui qui sème peu moissonnera peu, et celui qui sème abondamment moissonnera abondamment. » (2 Co 9.6)
C’est donc un encouragement à la bienfaisance, et à la libéralité. Et il n’y a pas de honte à regarder à la récompense promise par Dieu. Nous avons besoin d’avancer avec un but. Quand on fait de l’alpinisme ou de la randonnée en montagne, il y a des moments difficiles où on perd beaucoup d’énergie. Mais quand on regarde clairement au but final (par exemple, celui de profiter du lever de soleil en haut d’un sommet) on est prêt à passer au-dessus de toutes les difficultés qui se présentent.
Quelles que soient les difficultés et le coût que cela peut représenter, Jésus nous demande dans ces deux premiers versets d’avoir une attitude pleine de bienveillance et de nous éloigner de tout jugement et de toute critique d’autrui. Jésus a enseigné à ses disciples à donner. Maintenant il leur montre que la bénédiction qu’ils pourront répandre sur d’autres dépendra de leur propre condition spirituelle.
Jésus encourage ensuite ses disciples à avoir une attitude critique envers eux-mêmes, à avoir un cœur qui s’examine avant d’essayer de donner des leçons aux autres.
Imaginez une personne notoirement orgueilleuse qui ferait une formation à l’humilité. Ce serait risible, ça sonnerait faux. Il serait comme un aveugle qui conduit un aveugle (v. 39). Comment pourrait-il espérer développer cette qualité chez ses élèves si tout son être et son attitude est à l’opposé ? Comme dirait Coluche : Il vend de l’intelligence mais n’a même pas un échantillon sur lui !
Jésus est en train de former ses disciples au ministère qu’ils vont occuper ensuite, celui de faire connaître la bonne nouvelle de l’Évangile partout dans le monde. Et il ne veut pas qu’ils se comportent comme les autorités religieuses de l’époque qu’on appelait les Pharisiens. Au verset 39, la parabole, la mini-histoire ou la comparaison que Jésus utilise est une référence aux Pharisiens (voir Matthieu 15.14). Jésus utilisait fréquemment l’image de la cécité spirituelle pour dénoncer leur attitude parce qu’ils étaient prompts à exercer des jugements malfaisants et accusateurs envers le peuple tout en étant persuadés d’être irréprochables, un peu comme ce Pharisien en Luc 18.9-14, qui était fier de ses œuvres et qui méprisait et jugeait dans son cœur le publicain qui était à côté.
On ne peut donner que ce que l’on possède et si l’on est aveugle à certaines vérités de la parole de Dieu ou sur sa propre condition, on ne peut pas guider les autres, ou alors on les guide à leur perte, à une fosse qui peut être une fosse éternelle. Un homme ne peut enseigner ce qu’il ne sait pas. Il ne peut pas conduire ses élèves à un niveau supérieur au sien. L’étudiant devient un disciple accompli lorsqu’il est devenu semblable à son maître. Mais s’il y a des lacunes dans l’enseignement ou dans la vie d’un maître, elles se répercuteront dans la vie de ses élèves. C’est le sens du verset 40 :
« Le disciple n’est pas plus que le maître, et tout disciple accompli sera comme le maître ».
C’est vrai pour le meilleur et pour le pire.
Heureusement, notre maître à nous, le maître ultime, l’exemple ultime, c’est Jésus, qui a vécu une vie d’homme parfaite, sans jamais commettre de péché. On peut donc s’inspirer de son attitude, de son humilité, de sa bienveillance, de son non-jugement.
Les v. 41 et 42 nous montrent comment éviter l’aveuglement, nous montrent comment voir clair au milieu d’une génération corrompue. Le moyen d’y parvenir c’est en exerçant un jugement acéré envers soi-même, en faisant preuve d’auto-critique. La critique est bonne quand elle est dirigée vers soi-même.
Pour nous encourager à cela, Jésus utilise une illustration humoristique avec cette image de la paille et de la poutre qui est dans l’œil. « Voir la paille dans l’œil du voisin et ne pas voir la poutre dans le sien », est même devenu une expression courante en français.
Normalement avec une poutre dans l’œil on ne devrait pas être capable de voir la petite sciure, le fétu ou le bout de paille qui est dans l’œil du voisin. Mais l’être humain y arrive quand même, et cette image sert à montrer le ridicule d’un homme qui prétend faire l’éducation morale de quelqu’un qui est beaucoup moins dépravé que lui. Romains 2.1 nous dit :
« Ô homme, qui que tu sois, toi qui juges, tu es donc inexcusable ; car, en jugeant les autres, tu te condamnes toi-même, puisque toi qui juges, tu fais les mêmes choses. »
Et tu es peut-être même pire !
Notre tendance naturelle est de juger les autres et d’en remarquer les plus petits défauts. Mais ce que Jésus souligne, c’est qu’on peut être hypocrite au point de ne pas seulement chercher à voir les défauts des autres mais en plus à proposer notre aide à notre prochain pour qu’il puisse enlever le petit bout de paille de son œil : « Laisse-moi ôter la paille qui est dans ton œil. » (v. 42)
Si nous nous jugions nous-mêmes, il se peut que nous nous découvrions de vraies poutres. Par contre si nous enlevions la poutre de notre œil alors nous pourrions aider notre prochain avec sa paille. Si nous nous jugions honnêtement nous-mêmes, nous pourrions aider les autres. L’idée n’est pas de ne pas enlever la paille de l’œil du prochain mais d’enlever en premier la poutre ou la paille qui est dans le nôtre. Pour corriger utilement autrui, il faut commencer par se corriger soi-même.
Vous connaissez peut-être cette histoire de l’enfant qui dénonce son copain qui a ouvert les yeux pendant la prière au club biblique et à qui il suffit de répondre : « Ah bon, et comment le sais-tu ? »
Quand on cherche les fautes chez les autres, on oublie d’ouvrir les yeux sur nos propres fautes et il faut reconnaître que nous sommes souvent aveuglés sur l’état réel de notre cœur, sur l’état de notre péché. Nous avons la fâcheuse tendance à exagérer les fautes des autres et à minimiser la gravité des nôtres. À l’image d’un homme qui battrait sa femme mais qui aurait le culot de lui reprocher de s’être mise en colère alors qu’il la battait. Avec ce reproche il est complètement à côté de la plaque. Ou encore quelqu’un qui dénoncerait avec force le péché sexuel d’un frère ou qui le mépriserait dans son cœur alors que lui-même regarde de la pornographie depuis des années. C’est incongru. Avant de donner des leçons de pureté aux autres il faut commencer par traiter son propre problème dans le domaine.
L’hypocrite du verset 42 et l’aveugle du verset 39 sont une seule et même personne. L’hypocrisie est étroitement liée à l'aveuglement spirituel. (Matthieu 23.16, 18 et 24). L’hypocrite est celui qui est aveugle sur sa propre situation et sur l’état de son propre cœur.
Examinons donc humblement notre cœur, à la lumière de la parole de Dieu et de sa loi, avec l’assistance du Saint-Esprit, et en regardant toujours à l’exemple parfait de Jésus comme modèle et norme de l’attitude à avoir.
Il y a une prière qui est dangereuse mais que je nous encourage à formuler à Dieu : « Seigneur, montre-moi mon péché, montre-moi ce qui est encore dans l’obscurité dans ma vie, montre-moi quelle est la poutre que je ne vois pas mais qui est dans mon œil ». Quand Dieu y répond et qu’il nous montre notre péché, ça fait mal, mais c’est en fait pour notre plus grand bien.
L’hypocrite-aveugle dont on vient de parler est par définition aveugle sur sa situation mais il ne se rend pas compte que l’état de son cœur finira toujours par être visible par l’entourage, d’une manière ou d’une autre, par son comportement ou ses paroles, parce que notre comportement dévoile l’état de notre cœur. Et c’est le sens des versets 43 à 45.
L’image de l’arbre fruitier est là pour nous rappeler qu’on reconnaît un arbre à son fruit. On ne trouvera jamais de raisins sur des ronces ou de figues sur des épines. La nature de l’arbre va déterminer la nature du fruit. Sur un pommier il pousse des pommes, et sur un prunier des prunes et pas l’inverse.
Et la qualité de l’arbre va déterminer la qualité des fruits. Sur un bon arbre on trouvera de bons fruits et sur de mauvais arbres on trouvera de mauvais fruits. Je me souviens d’avoir goûté lors d’une randonnée des pommes sauvages qui étaient dégoûtantes et que j’ai recrachées. Ça arrive que des fruits soient mauvais si l’arbre est mauvais et qu’il mérite d’être coupé.
Mais tant qu’on n’a pas vu les fruits d’un arbre ou d’une plante, on ne peut ni être certain de la nature de l’arbre ni de sa qualité.
Notre cher pasteur Alex fait actuellement pousser des plants de piments chez lui. Il pense qu’il s’agit du piment le plus puissant du monde. Je dis « il pense » car tant qu’un piment n’aura pas poussé, on pourra toujours douter de la nature de la plante. Si ça se trouve, c’est un poivron qui sortira et Alex sera bien déçu de s’être donné tant de mal pour un poivron. Je viens de commencer à semer le doute dans l’esprit d’Alex quant à la nature des plants qui poussent chez lui. Mais admettons que ce soient bien des plants de piments. Il ne pourra affirmer qu’il s’agit du piment le plus puissant du monde que le jour où il en aura goûté un et qu’il aura la bouche en feu. La qualité du piment, à savoir si c’est un bon piment, ne pourra être jugée que le jour où il le goûtera enfin.
Le principe qui est énoncé au verset 44, c’est que l’on reconnaît un arbre à son fruit. La nature de l’arbre détermine la nature du fruit, mais c’est le fruit qui manifeste la nature de l’arbre.
Les fruits dont il est question ne désignent pas nécessairement les bonnes œuvres comme cela est souvent le cas avec l’image du fruit dans la Bible. J’ai l’impression que dans ces versets il est plutôt question de ce qui sort d’un être humain, l’enseignement que l’on donne et tout ce qui sort de notre cœur, en particulier nos paroles, et par extension, notre attitude globale.
Je dis cela parce que le principe général sur lequel repose ces illustrations se trouve à la fin du verset 45, à savoir que « c’est de l’abondance du cœur que la bouche parle ». Autrement dit, ce qu’on dit vient de ce qui remplit le cœur. Les paroles qui sortent de notre bouche sont-elles pleines de grâce et de miséricorde ou pleines de critique et de condamnation ? Ce sont ces paroles qui vont révéler l’état profond de notre cœur. Et quand je dis le cœur, c’est pour dire ce que l’homme est dans son for intérieur.
Les paroles, et d’une manière générale tous les actes que nous accomplissons, procèdent du cœur. Ici cette pensée se rattache encore à l’avertissement donné à l’homme qui a la prétention d’enseigner son frère. Il n’est plus question de jugement mais d’enseignement. Ce n’est plus reprendre le mal mais enseigner le bien dont il est question. Pour que notre parole ait une bonne influence il faut que nous soyons bons nous-mêmes. Si le trésor, la source, est mauvaise, l’enseignement sera mauvais.
Ce n’est pas l’apparence d’un arbre qui fait qu’il est bon et qu’il porte de bons fruits. On peut être trompé par l’apparence. Nous sommes souvent plus soucieux de paraître quelqu’un de bien, plutôt que d’être quelqu’un de bien. On peut être présent sur l’estrade à l’église, prêcher, prendre la sainte-cène, ou assister à toutes les réunions chrétiennes possibles en ayant toujours le sourire, mais si notre comportement à la maison (dans le cercle privé) ne correspond pas à celui dont on se donne l’apparence à l’église, nous sommes des hypocrites. La vraie nature d’une personne ne se juge pas à sa piété extérieure, mais à ce qui sort de sa bouche, à ses paroles et ses actions.
« Ne comprenez-vous pas que tout ce qui entre dans la bouche va dans le ventre, puis est jeté dans les lieux secrets ? Mais ce qui sort de la bouche vient du cœur, et c’est ce qui souille l’homme. Car c’est du cœur que viennent les mauvaises pensées, les meurtres, les adultères, les impudicités, les vols, les faux témoignages, les calomnies. Voilà les choses qui souillent l’homme. » (Mt 15.17-20)
La phrase : « C’est de l’abondance du cœur que la bouche parle », veut aussi dire que ce dont nous parlons témoigne de nos préoccupations. Le commentateur Samuel Prod’hom faire remarquer que : « Si le cœur s’occupe des choses du monde, il en parle ; malgré toutes les apparences de piété qu’un homme se donne, son langage manifestera la nature de son cœur. Celui qui recherche les choses de Dieu en parle. » Pour savoir quelles sont nos préoccupations, il suffit d’analyser de quoi nous parlons de manière habituelle. Puisque Jésus nous invite à nous examiner nous-mêmes, je laisse à chacun le soin de faire son propre examen de conscience.
Nous n’avons pas non plus assez conscience de la puissance de nos paroles. Pour le bien comme pour le mal. Il y a des paroles qui tuent, qui blessent, et des paroles qui relèvent et qui encouragent.
« Je vous le dis : au jour du jugement, les hommes rendront compte de toute parole vaine qu’ils auront proférée. Car par tes paroles tu seras justifié, et par tes paroles tu seras condamné. » (Mt 12.36-37)
Cultivons notre amour pour Dieu et pour sa parole, car c’est selon le trésor de notre cœur que notre bouche va parler. Le problème vient du cœur et c’est le cœur qui a besoin d’être transformé. Mais il peut être utile de mesurer nos paroles, d’analyser nos prises de parole et je vous propose un outil d’évaluation qui s’appelle « les trois passoires de Socrates ».
Socrate avait, dans la Grèce antique, une haute réputation de sagesse. Quelqu’un vint un jour trouver le grand philosophe et lui dit :
« Sais-tu ce que je viens d’apprendre sur ton ami ? »
« Un instant, répondit Socrate. Avant que tu ne me racontes tout cela, j’aimerais te faire passer un test rapide. Ce que tu as à me dire, l’as-tu fait passer par les trois passoires ? »
« Les trois passoires ? Que veux-tu dire ? »
« Avant de raconter toutes sortes de choses sur les autres, reprit Socrate, il est bon de prendre le temps de filtrer ce que l’on aimerait dire. C’est ce que j’appelle le test des trois passoires. La première passoire est celle de la VÉRITÉ. As-tu vérifié si ce que tu veux me raconter est VRAI ? »
« Non, pas vraiment, je n’ai pas vu la chose moi-même, je l’ai seulement entendu dire. »
« Très bien ! Tu ne sais donc pas si c’est la vérité. Voyons maintenant, essayons de filtrer autrement, en utilisant une deuxième passoire, celle de la BONTÉ. Ce que tu veux m’apprendre sur mon ami, est-ce quelque chose de BIEN ? »
« Ah, non ! Au contraire ! »
« Donc, continue Socrate, tu veux me raconter de mauvaises choses sur lui et tu n’es pas sûr qu’elles soient vraies. Ce n’est pas très prometteur ! Mais tu peux encore passer le test, car il reste une passoire : celle de l’UTILITÉ. Est-il UTILE que tu m’apprennes ce que mon ami aurait fait ? »
« Utile ? Non, pas vraiment, je ne crois pas que ce soit utile. »
« Alors, conclut Socrate, si ce que tu as à me raconter n’est ni VRAI, ni BIEN, ni UTILE, pourquoi vouloir me le dire ? »
Retenons ces 3 critères : est-ce vrai ? Est-ce bien ? Est-ce utile ? Et faisons passer nos prises de paroles par ce tamis, par ses passoires avant que les mots ne sortent de notre bouche.
Et je vais terminer pour conclure en laissant Dieu parler lui-même par l’intermédiaire de sa parole :
« Qu’il ne sorte de votre bouche aucune parole mauvaise, mais, s’il y a lieu, quelque bonne parole, qui serve à l’édification et communique une grâce à ceux qui l’entendent. N’attristez pas le Saint Esprit de Dieu, par lequel vous avez été scellés pour le jour de la rédemption. Que toute amertume, toute animosité, toute colère, toute clameur, toute calomnie, et toute espèce de méchanceté, disparaissent du milieu de vous. Soyez bons les uns envers les autres, compatissants, vous pardonnant réciproquement, comme Dieu vous a pardonné en Christ. » (Ép 4.29-32)