Est-ce qu’on dit « chocolatine », ou « pain au chocolat » ? Est-ce qu’on dit « flammekueche », ou « tarte flambée » ? L’ananas : est-ce que c’est un ingrédient qu’on peut mettre sur la pizza, ou non ? Et la raclette, ça se mange avec ou sans cornichons ? On a sûrement tous un avis très tranché sur ces questions, mais on ne va peut-être pas se fâcher les uns avec les autres à cause de ça, et créer des divisions dans l’Église.
Mais il y a d’autres questions qui peuvent être un peu plus tendues. Est-ce qu’on doit voter plutôt à gauche ou plutôt à droite, ou même voter tout court ? Est-ce qu’on doit limiter sa consommation de viande, trier tous ses déchets, et régler le thermostat de son chauffage à 19°, ou est-ce que ce n’est pas si important ? Est-ce que le programme de l’Église doit suivre le calendrier liturgique : est-ce qu’on doit marquer les temps religieux comme le Carême, l’Épiphanie, l’Avent, et même Noël ou Pâques, ou bien est-ce qu’on ne devrait pas faire ça, et seulement se limiter au simple Jour du Seigneur une fois par semaine ?
Est-ce qu’on doit, ou non, se faire vacciner contre le Covid, évangéliser dans le métro, réguler les naissances, traverser seulement au feu vert et sur les passages piéton, boire de l’alcool, se faire tatouer, utiliser l’écriture inclusive, assister au mariage civil de deux personnes de même sexe, donner au Téléthon, chanter surtout des vieux chants à l’Église, ou surtout des nouveaux, suivre scrupuleusement la fameuse règle de Billy Graham selon laquelle on ne doit jamais se trouver seul avec une personne du sexe opposé qui n’est pas son conjoint ? Etc.
En voilà des sujets sur lesquels on peut avoir des convictions très fortes et très différentes, et qui peuvent venir parasiter nos relations à l’intérieur de l’Église (et a fortiori à l’extérieur) ! Des sujets qui pourraient même entraîner des sentiments d’agacement, de mépris ou de colère à l’encontre des autres, voire des conflits, voire des divisions.
En fait, au moment-même où j’ai donné cette liste d’exemples, il y en a parmi nous qui se sont dit tout de suite : « Pff, non mais n’importe quoi ! Qui c’est qui pense ça ? » Ou bien : « Ah oui, j’en connais qui pensent ça, c’est parce qu’ils ont été influencés par le monde—ou à l’inverse—c’est parce que c’est des fondamentalistes, ils sont en réaction contre le monde. » Ou encore : « Ces gens-là, ils doivent être immatures. Ou coincés. Ou égoïstes. Ou orgueilleux. Ou légalistes. Ou aveugles. Ou hypocrites… »
Mais justement, la question qu’on veut se poser ce matin, c’est : comment aborder ces sujets délicats, de manière à maintenir la bonne entente entre nous ? On peut se poser la question de manière générale, bien sûr, par rapport à notre vie en société, mais dans le texte qu’on va prendre dans un instant, la question se pose en particulier par rapport à notre vie en tant que chrétiens qui appartenons à une même Église.
Comment vivre ensemble en communion, quand il y a ce genre de différences qui peut exister entre nous ? La réponse : Jésus. Ben oui, Jésus c’est toujours la bonne réponse à nos problèmes ! Mais plus précisément, ce qu’on va voir dans ce texte, c’est qu’on doit être intentionnel dans le fait de maintenir la bonne perspective et de relativiser nos différences par rapport à ce qui est vraiment important. Et quoi de plus important que Jésus et son projet ?
On est toujours en train d’étudier la lettre que l’apôtre Paul a écrite à des chrétiens de son époque qui habitaient dans la ville de Rome au premier siècle, et on est toujours dans la dernière grande section de cette lettre, où Paul est en train de tirer des applications pratiques de tout ce qu’il a dit avant, quand il a expliqué ce que ça voulait dire d’être un croyant—c’est-à-dire de placer sa confiance en Jésus sur la base de ce que Jésus a fait pour nous sauver.
Donc si on reconnaît qu’on a besoin de Jésus pour être pardonné pour nos fautes, pour être justifié par Dieu et réconcilié avec lui, et pour aller au paradis—et si on a placé notre foi en Jésus—voici donc maintenant ce qui devrait découler de notre foi en lui. Et en particulier maintenant dans ce texte, ce qui devrait découler dans le cadre de nos relations au sein de la communauté qu’est l’Église locale.
Et vous allez voir que Paul va prendre deux exemples en particulier d’opinions qui peuvent être différentes dans l’Église, l’une qui concerne l’alimentation, l’autre le calendrier. Ce qu’on va voir dans un instant, c’est que ces exemples sont en rapport avec le contexte particulier des tout premiers chrétiens, mais on va voir qu’à partir de ces exemples, Paul va tirer des principes qui s’appliquent très clairement à nous aujourd’hui.
Donc toute la leçon de ce passage, c’est qu’on doit être intentionnel dans le fait de relativiser nos différences par rapport à ce qui est vraiment important. Regardons le texte, et prenons les choses dans l’ordre.
Premièrement, on doit faire bon accueil à ceux à qui Dieu a fait bon accueil. Si vous regardez le passage (v. 1-5), vous pouvez voir que Paul commence par établir un principe : « Faites bon accueil à celui qui est faible dans la foi, sans discuter des opinions », et ensuite, en développant ce principe, il va donner deux exemples. Premièrement, il y a la question de savoir si on doit manger ou non de la viande (v. 2), et ensuite il y a la question de savoir s’il faut marquer certains jours dans le calendrier plus que d’autres (v. 5).
Ce sont deux questions qui pouvaient diviser les premiers chrétiens, parce qu’en fait, l’Église primitive était composée de croyants issus du judaïsme, et de croyants issus du paganisme. Les croyants issus du judaïsme pouvaient avoir du mal avec l’idée de manger de la viande, parce que la viande qu’on pouvait acheter dans la ville de Rome, au premier siècle—eh bien il y avait un risque qu’elle soit impure d’après les règles alimentaires des Juifs, du fait de son origine, à cette viande. Mais les croyants issus du paganisme, eux, comme ils ne connaissaient pas bien les règles des Juifs, eh bien ils s’en fichaient un peu de savoir si la viande était pure ou impure—pour eux, tout ce qui comptait, c’était si elle avait bon goût !
De la même façon, les croyants issus du judaïsme pouvaient penser que c’était important, en fait, de respecter le calendrier des fêtes d’Israël, même en tant que chrétiens : la fête des pains sans levain, la fête des trompettes, la fêtes des huttes, etc. Mais pour les croyants issus du paganisme, tout ça, ça n’avait pas beaucoup d’importance.
Et donc on peut comprendre que ce genre de différences d’opinion, ça pouvait provoquer des débats au sein de la communauté chrétienne de Rome. Est-ce qu’il faut faire comme ci, ou est-ce qu’il faut faire comme ça ? Mais Paul dit : « Qu’on mange ou non de la viande, et qu’on marque ou non les fêtes religieuses du calendrier, en tout cas, ce qu’on sait, c’est que les uns et les autres—de part et d’autre de ce débat—les uns et les autres se sont approchés de Jésus par la foi, et Dieu les a accueillis dans son Église.
Et si Dieu les a accueillis dans son Église (ceux qui ont une autre opinion que la nôtre), alors nous aussi on doit les accueillir dans l’Église de Dieu—même s’ils sont différents de nous, même s’ils sont très différents de nous.
« Faites bon accueil à celui qui est faible dans la foi, sans discuter des opinions. » Ce que Paul veut dire, ce n’est pas qu’il ne faut jamais discuter des opinions, mais plutôt qu’il ne faut pas discuter des opinions comme condition pour faire bon accueil à quelqu’un. Littéralement : il ne faut pas « prononcer un jugement » sur les opinions des gens qu’on accueille.
Ce qu’il faut imaginer, c’est—disons—un théâtre, où on accueillerait des gens au nom de Jésus. Et on aurait une super équipe d’accueil avec un joli badge qui attend dehors, et quand quelqu’un arrive, une personne de l’équipe d’accueil leur dit : « Bonjour et bienvenue ! On est ravi de votre présence, laissez-moi vous accompagner, je vais vous montrer le chemin. » Et une fois la porte franchie, une fois dans le couloir rouge, alors on fait asseoir la personne derrière une table, on lui braque une lampe dans le visage, et on lui dit : « Bon, avant d’aller plus loin, on a quelques questions à vous poser. Est-ce que vous mangez de la viande ? Est-ce que vous respectez le calendrier liturgique ? »
Vous comprenez ? Ce que Paul veut empêcher, ici, c’est qu’on ajoute un sas dans l’entrée de l’Église. L’Église est une communauté d’êtres humains issus de toutes sortes d’arrière-plans différents, sur le plan culturel, ethnique, linguistique, politique, religieux… Et c’est une communauté ouverte sur le monde, du fait de sa vocation d’annoncer la Parole de Dieu à toute la création, d’être « une ville située sur une montagne » (cf. Mt 5.14), et d’accueillir en son sein tous ceux qui cherchent Dieu, d’où qu’ils viennent.
Donc imaginez qu’un jour, je vous invite chez moi pour un repas ; et comme vous arrivez parmi les premiers, je vous dis : « Écoute, puisque tu es là, tu veux bien accueillir les gens au portail, et leur montrer où c’est qu’ils peuvent se garer ? » Et disons que vous acceptez, mais qu’une fois que les gens commencent à arriver, vous commencez à créer des difficultés à ceux qui sont venus en voiture diesel. « Ah je suis désolé, le diesel ça pollue, et vous ne pouvez pas pénétrer dans la propriété d’Alex avec ce genre de véhicule. » Peut-être que vous avez de bonnes raisons de penser ça, mais moi, le propriétaire de la maison, je ne vous ai jamais demandé de discriminer parmi mes invités !
Et c’est pourquoi Paul dit dans notre passage, qu’on ne doit pas discriminer parmi les gens qui veulent s’approcher de Dieu et de sa maison. Nous, on n’est pas les propriétaires de l’Église de Jésus-Christ, et on doit arrêter de se comporter comme si on en était les propriétaires—parce que ça, c’est vachement déplacé !
On doit faire bon accueil à ceux à qui Dieu a fait bon accueil, parce qu’on est chez lui ! Et donc pour cette raison, on ne doit ni mépriser, ni juger, la personne qui s’est approchée de Dieu mais qui n’est pas comme nous. Si elle s’est approchée de Dieu, c’est qu’elle a de l’intérêt pour Dieu, et si elle a de l’intérêt pour Dieu, c’est que Dieu a fait—ou est en train de faire—quelque chose dans sa vie. Et on est qui, nous, pour discriminer parmi les invités de Dieu ? On est qui pour créer des sous-catégories d’invités, ou pire, des catégories de sous-invités, dans la maison de Dieu ?
Alors bien sûr, comme je l’ai dit, ça ne veut pas dire qu’il ne faut jamais discuter des opinions, et jamais aborder les questions de pratique, ou de conviction personnelle, sur lesquelles on a des avis différents. En fait, Paul lui-même va se prononcer avec autorité sur la question alimentaire juste après, dans la deuxième partie du chapitre (ce qu’on verra dans deux semaines).
Et donc bien sûr, si l’Église n’est pas seulement la maison de Dieu, mais aussi la colonne et l’appui de la vérité (cf. 1 Tm 3.15), c’est que les opinions personnelles ne se valent pas toutes. On n’est pas dans un monde relativiste, et encore moins dans une Église relativiste, où chacun peut croire ce qu’il veut et ce n’est pas grave ! Non, l’Église de Jésus-Christ proclame, promeut et protège la Parole du Christ, que le Christ lui a confiée. Les chrétiens, donc, ont la responsabilité de s’exhorter mutuellement et de grandir ensemble dans la vérité. Et les conducteurs spirituels de l’Église ont la responsabilité de veiller sur l’enseignement de la vérité, et sur la croissance et la fidélité des membres de l’Église, de sorte que parfois, il arrive que les responsables doivent reprendre, corriger, voire même exclure un membre de la communauté pour cause d’infidélité notoire.
Paul n’est pas en train de minimiser ces choses-là, dans notre passage. Mais il est en train de dire qu’on peut avoir des convictions différentes sur certains points, sans que ça ne nous empêche d’être en communion avec Dieu—et donc, ça ne devrait pas non plus nous empêcher d’être en communion avec l’Église.
On ne doit pas discriminer à l’entrée. On ne doit pas supposer que certains sont inférieurs à nous, ou qu’ils sont moins les bienvenus à l’Église, parce qu’ils n’ont pas les mêmes convictions que nous sur certains sujets. Et on devrait pouvoir discuter de ces convictions sans mépris dans un sens, et sans jugement dans l’autre sens. On est ensemble dans la maison de Dieu, et on peut discuter ensemble même de politique, d’argent, d’écologie, de bioéthique, ou d’organisation de la vie de l’Église, avec une grande bienveillance mutuelle dans le cœur, en vue de grandir ensemble dans la vérité.
Alors qu’est-ce qui peut nous aider à progresser dans ce domaine ? Eh bien c’est le deuxième point. Deuxièmement, on doit se rappeler qui est vraiment notre maître, et le maître de notre frère. Revenons à notre passage (v. 6-12).
Paul va maintenant insister sur une chose en particulier, c’est la nature de la relation qui existe entre un croyant et Jésus. Quelle est cette relation ? C’est que Jésus est le « Seigneur » de chaque croyant, et donc que chaque croyant est redevable à Jésus comme à son maître. Vous avez sûrement remarqué que le mot « Seigneur » revient beaucoup dans ces quelques versets (huit fois en sept versets). C’est donc que Paul veut vraiment insister là-dessus : si on est croyant, on vit notre vie sous le regard de notre maître, en service à notre maître, pour la gloire de notre maître.
Et Paul veut vraiment qu’on se rappelle cette réalité, mais notez bien : ce qui est important pour Paul, ce n’est pas tant, ici, qu’on se rappelle que soi-même, on est redevable à Jésus en tant que croyant, mais que l’autre dans l’Église est redevable à Jésus, en tant que croyant. C’est pourquoi il en parle à la troisième personne (« celui qui mange, c’est pour le Seigneur ; celui qui ne mange pas, c’est pour le Seigneur… »), et qu’ensuite, il dit : « [Donc] pourquoi juges-tu ton frère ? Ou pourquoi méprises-tu ton frère ? » (cf. v. 10)
Paul veut qu’on se rappelle que le frère ou la sœur dans l’Église qui n’a pas la même conviction que nous sur certains sujets qui ne sont pas essentiels à la foi, eh bien ce frère ou cette sœur a une relation au Seigneur qui est de même nature que la nôtre. Et pour cette raison, ce serait tout-à-fait déplacé pour nous de nous élever au-dessus de lui ou d’elle, pour le ou la mépriser, ou pour le ou la juger.
Qu’est-ce que ça veut dire, mépriser un frère, ou juger un frère ? On méprise un frère quand on croit que Dieu nous approuve plus que lui en raison de notre maturité. Et on juge un frère quand on croit qu’il est coupable de faire quelque chose de mal alors que Dieu ne déclare pas que c’est mal. Je répète parce que c’est important : mépriser un frère, c’est quand on croit que Dieu nous approuve plus que lui en raison de notre maturité (supposée ou réelle). Juger un frère, c’est quand on croit qu’il fait quelque chose de mal que Dieu n’a pas déclaré comme étant quelque chose de mal.
Je ne peux pas m’empêcher de penser à ce qui se passe parfois chez moi, dans ma maison, quand je suis occupé à préparer une prédication dans mon bureau et que mes enfants sont dans la pièce à côté, mais sans la présence ou la supervision d’un parent. Il arrive parfois qu’un de mes enfants commence à se prendre pour un parent, et qu’il commence à s’élever au-dessus des autres sous prétexte d’être plus âgé et plus intelligent. Et qu’il essaie d’imposer ses règles et ses préférences à lui ; et même parfois, qu’il essaie d’imposer une discipline et des punitions. Alors que, premièrement, personne ne lui a donné ce rôle ; et deuxièmement, les règles qu’il essaie d’imposer ne sont pas du tout des règles de la maison !
Je serais tenté d’intervenir et de dire : « Toi, pourquoi juges-tu ton frère ? Ou pourquoi méprises-tu ton frère ? Vous comparaîtrez tous devant le tribunal de papa et de maman à la fin de la journée, et chacun de vous rendra compte pour lui-même. »
Vous voyez la logique de Paul ? Il veut qu’on se rappelle que les autres sont redevables non pas à nous, mais au Seigneur, qui est aussi notre Seigneur—le même Seigneur pour qui on vit, et pour qui on meurt. Le même Seigneur devant qui on est tous à égalité, si on est croyant.
Et pourquoi est-ce qu’on peut dire qu’on est à égalité devant lui, si on est croyant ? C’est simple. C’est parce qu’on était tous à égalité devant lui quand on n’était pas des croyants ! Sans la foi, on était tous séparés de lui, on était tous coupables, on était tous désapprouvés de Dieu et même, pour être précis, on était tous en chemin vers la perdition éternelle. Parce qu’on était tous morts spirituellement—c’est-à-dire séparés de Dieu, insensibles à sa voix, « aveugles et nus, pauvres et perdus », et il n’y a rien qu’on faisait ou qu’on pouvait faire qui pouvait nous faire gagner un tant soit peu son approbation, ou diminuer un tant soit peu notre culpabilité et notre condamnation.
Et Paul l’avait bien expliqué dans la première partie de sa lettre :
« Il n’y a pas de distinction : tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu. » (Rm 3.23)
Juifs et non-Juifs, hommes et femmes, Grecs et Romains, Français, Coréens, Américains et Brésiliens, progressistes et conservateurs, royalistes et républicains, communistes et capitalistes, écologistes et pollueurs, végétariens et omnivores, féministes et anti-féministes, mariage pour tous et manif pour tous, droitiers et gauchers, grands, petits, noirs, blancs, bruns, blonds : « Tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu ».
Et ça, c’est super important à comprendre—qu’on était vraiment tous à égalité devant Dieu dans la culpabilité et dans la condamnation—pour pouvoir comprendre ensuite qu’on est vraiment tous à égalité devant Dieu dans sa grâce, si on est croyant.
Parce que Jésus s’est approché de la part de Dieu pour nous sauver, sans jamais considérer notre origine, notre éducation, notre culture, nos capacités, nos pseudos-performances, nos pseudos-mérites, notre pseudo-maturité, notre pseudo-intelligence ou notre pseudo-supériorité. Il s’est donné lui-même en sacrifice, volontairement, pour prendre sur lui la peine de nos fautes—l’ignominie de la croix—sans que rien ne l’y obligeait, et seulement par amour, selon sa grâce complètement souveraine. Il a détourné la peine de nos fautes sur lui, et en échange, il nous donne sa justice, pleinement, sans rien retenir.
Et il a fait ça pour tous ceux qui placent leur confiance en lui : Juifs et non-Juifs, hommes et femmes, Grecs et Romains, Français, Coréens, Américains et Brésiliens, progressistes et conservateurs, royalistes et républicains, communistes et capitalistes, écologistes et pollueurs, végétariens et omnivores, féministes et anti-féministes, mariage pour tous et manif pour tous, droitiers et gauchers, grands, petits, noirs, blancs, bruns, blonds !
« Tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu… et ils sont gratuitement justifiés par sa grâce, par le moyen de la rédemption qui est dans le Christ-Jésus. » (Rm 3.23-24)
Jésus est mort et ressuscité pour racheter tous ceux qui lui font confiance. Donc tous ceux qui lui font confiance lui appartiennent dorénavant, dans la vie comme dans la mort. Et la moralité de tout ça, pour ce qui nous concerne dans ce passage, c’est ce que Paul a dit au verset 4 : « Qui es-tu, toi qui juges un serviteur d’autrui ? S’il se tient debout, ou s’il tombe, cela regarde son maître. Mais il se tiendra debout, car le Seigneur a le pouvoir de le soutenir. »
Donc qu’est-ce qui peut nous aider à progresser en bienveillance mutuelle, dans notre rapport avec les croyants qui ne pensent pas comme nous sur des sujets qui ne sont pas essentiels à la foi ? Eh bien on doit se poser les bonnes questions. 1/ Est-ce que je confesse que Jésus est mort et ressuscité pour me racheter ? Et 2/ est-ce que cet ami dans l’Église, lui aussi, confesse que Jésus est mort et ressuscité pour le racheter ? Oui ? Alors on doit considérer qu’on est frères dans une même maison, avec un même Seigneur.
Et pour cette raison, ce serait une hérésie de le mépriser comme si Dieu pouvait nous approuver plus que lui, sous prétexte de notre plus grande maturité. Non ! Si notre foi est en Jésus, Dieu nous approuve déjà pleinement. Il n’approuve pas certains croyants plus ou moins que d’autres, parce que certains trieraient leurs déchets et d’autres non, ou parce que certains sont vaccinés et d’autres non. Et ce serait aussi une hérésie de juger un frère, comme s’il était coupable moralement d’une faute alors que Dieu n’a pas déclaré que c’était une faute. Non, si notre foi est en Jésus, Dieu nous a déclaré juste, parfaitement juste, pour toujours, et on veut progresser quotidiennement dans notre obéissance à Dieu selon ce que Dieu a révélé, et pas selon des préjugés culturels, des modes ou des idéologies purement humaines.
Je répète, bien sûr, qu’on peut discuter de ces opinions différentes qu’on a sur des points non-essentiels—et dans ces domaines, on peut, et même on devrait, chercher à grandir en sagesse et en maturité spirituelle. (Paul va nous emmener dans cette direction dans la suite du chapitre !) Mais on doit pouvoir faire ça sans mépris et sans jugement. Et pour ça, on doit se rappeler qui est vraiment notre maître, et le maître de notre frère.
Mais il y a encore une chose qu’on doit faire, d’après ce passage. C’est le troisième point. Troisièmement et dernièrement, on doit faire attention de ne pas créer d’obstacle aux progrès de l’Évangile. Qu’est-ce que je veux dire par là ? Eh bien revenons une dernière fois au texte.
Dans le dernier verset de notre passage (v. 13), Paul nous dit qu’il y a une meilleure chose à faire avec notre capacité de jugement, que de juger nos frères : c’est d’user de notre jugement pour faire attention de ne pas heurter ou choquer nos frères d’une manière qui les empêcherait de progresser sereinement dans la foi.
Je vous rappelle que « juger », c’est déclarer quelque chose entre plusieurs possibilités—en l’occurrence, est-ce que c’est bien, est-ce que c’est mal ? Juger, c’est trancher entre les deux, et donc juger un frère, c’est déclarer que ce qu’il fait est mal (le déclarer tout haut, ou le penser dans son cœur). Et dans le contexte de ce passage, c’est un jugement abusif, puisque Dieu lui-même ne juge pas les actions dont il est question. Celui qui mange de la viande ne fait pas mal ; et celui qui ne mange que des légumes ne fait pas mal non plus. Celui qui ne célèbre pas les fêtes des Juifs ne fait pas mal ; et le Juif qui continue par tradition de suivre son calendrier religieux ne fait pas mal non plus.
Donc juger, c’est trancher entre plusieurs options, et déclarer que l’une est bien, et les autres mauvaises. Et donc Paul veut qu’on fasse ça par rapport à des choix qui se présentent à nous et qui pourraient aider ou nuire à la marche chrétienne de notre frère.
On doit examiner notre conduite dans tous ces domaines qui ne sont pas essentiels à la foi, et on doit « juger », c’est-à-dire se demander : est-ce que, en faisant ça, ou en disant ça—est-ce que ça va contribuer positivement ou négativement aux progrès de l’Évangile dans la vie de mon frère ? C’est-à-dire est-ce que ça va l’édifier, le fortifier, l’encourager, ou est-ce que ça va le perturber, le choquer, et blesser sa conscience ? Est-ce que ça va favoriser notre communion, ou est-ce que ça va nuire à notre communion ? Et on doit « juger » de ça, c’est-à-dire trancher, décider quelle est la bonne option, et écarter la mauvaise.
Je ne sais pas si vous avez déjà joué à ce type de jeu vidéo qu’on appelle des jeux de Tower Defense. Il y a un territoire vide sur votre écran, et vous avez une base qui est à une extrémité de ce territoire, et vous avez des méchants qui arrivent depuis l’autre côté du territoire pour attaquer votre base. Et vous, ce que vous devez faire, c’est construire des tours qui vont attaquer automatiquement les méchants au fur et à mesure de leur avancée. Et donc si vos tours sont assez nombreuses, assez puissantes, et assez bien placées stratégiquement, vous allez pouvoir résister aux différentes vagues de troupes ennemies, et gagner des points, et améliorer vos tours, et peut-être progresser de niveau en niveau, et en fin de compte, gaspiller beaucoup de temps dans votre courte existence, en jouant à un jeu vidéo.
Bref, ce que Paul nous demande de faire dans notre passage, c’est l’inverse en fait de ce jeu vidéo, mais en suivant le même principe. Paul, il veut qu’on use de notre jugement stratégique non pas pour empêcher les progrès d’un ennemi, mais pour favoriser les progrès d’un frère. Mais voilà, la façon dont on va agir et parler, par rapport à ces fameux sujets un peu tendus mais pas essentiels à la foi, ça va être un peu comme ces tours de défense qui tirent automatiquement sur tout ce qui bouge. Nous, on veut éviter de les placer à des endroits où ça va tirer sur notre frère et l’empêcher d’avancer.
En fait, on veut éviter d’obscurcir ou d’occulter ce qui est vraiment important pour les progrès de notre frère dans la foi, comme d’ailleurs pour nos progrès dans la foi—et ça, ce qui est vraiment important, c’est l’Évangile, en fait !
L’Évangile, c’est cette fameuse bonne nouvelle dont on parlait il y a quelques instants, d’après laquelle Jésus est mort et ressuscité pour que tous ceux qui placent leur confiance en lui reçoivent le pardon de leurs péchés et l’assurance de la vie éternelle. On a tous besoin de se rappeler en permanence cette vérité si importante qui concerne Jésus-Christ, qui il est, ce qu’il a fait, et la grâce inépuisable que Dieu nous présente en lui.
Et quand Paul nous parle ici de mettre une pierre d’achoppement ou une occasion de chute devant notre frère, il parle de quelque chose de vraiment grave. Il faut imaginer quelqu’un qui aurait désespérément besoin de Jésus, quelqu’un qui (comme nous) serait absolument perdu sans lui, quelqu’un peut-être qui s’approcherait tout titubant de Jésus, tout chancelant, quelqu’un qui ne connaîtrait pas grand-chose en théologie, quelqu’un d’illettré, peut-être, et il s’approcherait tout hésitant de Jésus, en lui tendant sa main tremblante, et nous, on arrive, et qu’est-ce qu’on fait ? On lui fait un croche-patte ! Bam !
« Ah, tu votes socialiste ? Mais t’as jamais lu la Bible, ou quoi ? » Ou inversement : « T’as voté Marine Le Pen ? Arrière de nous, Satan ! » Ou encore : « Tu ne manges que des légumes ? La Bible dit que t’es faible dans la foi, ha ha ! » Ou encore : « On ne peut pas prendre l’avion, assumer une telle empreinte carbone, et continuer de se dire chrétien ! » Vous voyez ce que je veux dire ?
Alors ce n’est généralement pas aussi explicite. Plus souvent, c’est par des petites remarques, par des attitudes, par des regards, et en fait, tout ça, ça commence dans nos pensées. C’est déjà dans notre cœur, qu’on doit faire attention de ne pas construire des tours d’auto-défense qui vont mitrailler automatiquement nos frères et sœurs qui ne pensent pas comme nous. Ça s’appelle des préjugés, en fait. Ça s’appelle un manque de charité.
Et bien sûr, ça va dans les deux sens. D’un côté, on ne doit pas mépriser ou juger les frères et sœurs qui ne pensent pas comme nous sur des points qui ne sont pas essentiels à la foi (en tout cas qui ne pensent pas encore comme nous !). Mais d’un autre côté, on doit aussi tenir avec humilité ces convictions que nous, on a, qui ne sont pas essentielles à la foi. On ne doit pas brandir ces convictions comme des étendards, de peur de heurter notre prochain, de le choquer, et d’empêcher les progrès de l’Évangile dans sa vie. Notre étendard, c’est Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié (1 Co 2.2). (Ça suffit largement pour scandaliser les gens !)
Voilà ce qui est vraiment important. Voilà ce qui devrait être prééminent dans notre cœur, dans nos pensées, dans nos attitudes, dans nos paroles, dans nos actes. Voilà ce qui devrait être prééminent dans nos relations à l’intérieur de l’Église, dans nos réunions, dans nos activités, dans notre louange et dans notre enseignement.
Usons de notre jugement pour ouvrir la voie qui mène à Jésus-Christ. On doit faire attention, vous voyez, de ne pas créer d’obstacle aux progrès de l’Évangile. C’était le troisième point. Si on a des sujets secondaires qui sont vraiment pour nous des dadas, attention de ne pas leur accorder tant d’importance qu’ils vont faire de l’ombre à Jésus-Christ.
Alors vous voyez, au début on se posait la question : comment aborder ces sujets délicats, de manière à maintenir la bonne entente entre nous ? Et en plaisantant, on a dit que la réponse, c’était Jésus. Mais ce n’est pas une plaisanterie, en fait. Toute la leçon de ce texte, c’est qu’on doit être intentionnel dans le fait de relativiser nos différences par rapport à ce qui est vraiment important. Et ce qui est vraiment important, oui, c’est Jésus. Il en va de la gloire de Dieu dans l’Église, et du salut éternel du plus grand nombre.
Alors on approche de la fin de cette prédication, et il y en a qui se disent : « OK, très bien, mais quand même. Il y a des sujets qui ne sont pas essentiels à la foi, mais qui sont importants quand même ! » Oui, allez, c’est vrai ! Et ce que je suis en train de dire, ce n’est pas qu’on doit faire semblant que ces sujets n’existent pas. On ne doit pas les balayer sous le tapis, ou renoncer à avoir des convictions dans plein de domaines qui ne sont pas essentiels à la foi. Encore une fois, Paul lui-même va aborder la question des aliments purs et impurs dans la suite du passage.
Mais le message de ce texte, c’est qu’on doit maintenir ces choses à leur juste place, et si on les aborde, on doit le faire avec une extrême délicatesse, et une extrême charité, sans jamais conditionner notre communion à la résolution de ces différences. Je suis persuadé qu’en maintenant la centralité de l’Évangile, on peut aborder ces sujets, de manière décomplexée, afin de grandir ensemble en maturité, et sans se fâcher les uns avec les autres.
Ce qu’on va faire à l’Église Lyon Gerland, donc, je l’espère, ça va être de faire bon accueil à ceux à qui Dieu a fait bon accueil. On va réserver un accueil chaleureux et bienveillant à tous ceux qui veulent s’approcher de Dieu par Jésus-Christ, quelle que soit leur origine, leur culture, ou leur apparence—oui, pauvre ou riche, analphabète ou professeur, gothique ou jupe plissée, skinhead ou djellaba, travesti ou bourgeois bien rangé—bienvenue chez Dieu, on aimerait tant que vous rencontriez personnellement Jésus-Christ, que vous placiez votre foi en lui et que vous grandissiez dans votre marche chrétienne.
Ce qu’on va faire à l’Église Lyon Gerland, je l’espère, c’est aussi nous rappeler qui est vraiment notre maître, et le maître de notre frère. Tu votes à gauche, ou à droite, en ton âme et conscience : ce n’est pas à moi que tu as des comptes à rendre. Tu t’es fait faire un tatouage, ou tu n’aimes pas les tatouages : qui suis-je pour juger un serviteur d’autrui ? Tu mets de l’ananas sur tes pizzas, ce n’est pas si grave. Par contre, je suis assez certain qu’il y a un verset de la Bible qui dit que la raclette ça se mange avec des cornichons ! En tout cas, on peut discuter de ces choses librement, avec de l’affection et du respect, peut-être même de l’humour, parce que si on vit, ou si on meurt, on est au Seigneur.
Et donc ce qu’on va faire à l’Église Lyon Gerland, je l’espère, c’est faire attention, en fin de compte, de ne pas créer d’obstacle aux progrès de l’Évangile. Tu as un grand souci de l’écologie, c’est bien, mais que ce souci ne devienne pas une accusation portée contre tes frères (même dans ton cœur), et une pierre d’achoppement pour eux, dans leur marche titubante avec Christ. Inversement, tu penses que le dérèglement climatique est exploité par les politiques et qu’il est monté en épingle par les médias pour des raisons idéologiques, c’est ta conviction, mais tiens-là en toute humilité (même dans ton cœur) de manière à ce qu’elle n’obscurcisse pas la clarté de l’Évangile et qu’elle ne repousse pas des gens qui voudraient s’approcher de Christ.
Soyons intentionnels dans le fait de garder Christ prééminent dans nos pensées, dans nos paroles, dans nos actes—de le garder présent, devant, au centre, tout en haut, dans tout ce qu’on fait, chacun de nous, et tous ensemble en tant qu’Église.