La plupart d’entre nous avons une vie relativement confortable. Un toit au-dessus de nos têtes, des vêtements à porter, de la nourriture au quotidien. De la famille et des amis. Un revenu plus ou moins stable. Ajoutez à cela les aides et la protection du gouvernement, ainsi que les assurances privées que nous sommes nombreux à souscrire pour notre habitation, pour notre véhicule, pour nos personnes, et on peut se dire qu’on est tout-à-fait prémuni contre les difficultés de la vie. Accident, maladie, invalidité, chômage, vol, vandalisme, agression, guerre, catastrophe naturelle… on est préparé ! Avec le genre de vie qu’on a, on peut envisager l’avenir avec beaucoup de confiance et de sérénité. Nous sommes protégés contre le malheur. Au États-Unis, vous pouvez même souscrire une assurance qui vous couvre contre « tout acte de la nature ou de Dieu » ! Être couvert contre les actes de Dieu, voilà le summum d’une vie tranquille. Mais voilà aussi, peut-être, le summum de notre présomption. Le jour où le malheur nous touche vraiment, où tous nos projets s’effondrent, où les choses ne se passent pas du tout comme prévu, on se rend compte que toute cette prétendue sécurité ne fait pas tant que ça pour nous protéger. Le texte de ce matin est tout simplement un appel à la lucidité. Ce texte veut nous placer devant notre propre vulnérabilité ; il soulève un problème sans toutefois nous donner une réponse tout-à-fait satisfaisante à ce problème ! La leçon qu’on pourra retenir de ce texte, c’est la suivante : notre vie est précaire ici-bas, et rien au monde ne peut nous prémunir contre le plan parfois incompréhensible de Dieu. Et là, vous vous dites : « C’est censé m’encourager, ça ? ». Et bien regardons comment le texte en parle.
Ce nouvel épisode des aventures de Paul s’ouvre sous les meilleurs auspices. Depuis un moment, on sait que c’est la volonté de Dieu que Paul se rende à Rome pour y témoigner de l’Évangile (Ac 23.11). Il est placé sous une escorte prestigieuse (v. 1), accompagné de plusieurs amis fidèles (v. 2) ; il bénéficie pendant le voyage de la bienveillance du centenier et du soin de l’Église (v. 3). Tout se passe comme sur des roulettes. Mais soudain, on apprend que les vents contraires entraînent un petit changement d’itinéraire (v. 4-5), alors le centenier doit s’adapter en improvisant un peu (v. 6). Rien de bien inquiétant. Sauf que les difficultés vont s’intensifier petit à petit (v. 7-8). L’auteur est en train de faire monter progressivement et délibérément la tension dans son récit. Il crée du suspense. Il nous aspire dans la situation pour nous faire ressentir cette fameuse boule au ventre que l’on a lorsqu’on se rend compte qu’une situation est en train de nous échapper complètement.
Tous ceux qui ont fait au moins une fois du ski savent ce qu’on ressent lorsqu’on est en train de descendre une pente tranquillement et que tout d’un coup, on ne sait pas trop ce qui s’est passé, mais en l’espace d’une demi-seconde, la pente nous paraît beaucoup trop pentue, la neige beaucoup trop glissante, et la vitesse beaucoup trop rapide, et on sait pertinemment qu’on vient de perdre le contrôle de la situation. Il y a un pied qui part à droite, l’autre à gauche, et on ne sait pas si ça va bien se terminer. Tous ceux qui ont fait au moins une fois du ski savent très bien ce que c’est qu’une situation précaire.
Mais même sans faire du ski, nous savons tous ce que c’est qu’une situation précaire, car notre vie en est une. Quoi que nous en pensions, l’équilibre de notre vie est fragile, même lorsqu’on a l’impression de vivre sous les meilleurs auspices. Nous ne sommes pas maîtres des circonstances, et nous sommes soumis à des forces et à des événements qui nous échappent totalement et qui peuvent, du jour au lendemain, remettre toute notre vie en question : une crise économique, un changement climatique, un accident de la circulation, une pandémie grippale… L’équilibre de notre vie est précaire.
C’est cela que l’auteur veut nous faire mesurer dans un premier temps. Nous sommes des êtres vulnérables et dépendants, malgré le fait que nous nous complaisons dans notre confort, dans notre sécurité prétendue, dans nos beaux projets et nos belles ambitions. Mais ce texte va à l’encontre de ce genre de présomption et nous invite plutôt à regarder la réalité en face : admettez-vous la possibilité de tout perdre du jour au lendemain ? Ce genre de lucidité doit entraîner chez nous une grande modération, une grande humilité, et une grande dépendance de celui qui est le Maître de toute circonstance, Dieu lui-même (Jc 4.13-16). La suite du texte va nous montrer pourquoi cela est tellement important.
Le centenier veut poursuivre sa mission, mais la situation devient de plus en plus dangereuse. Poursuivre le voyage comporte un risque évident, renforcé par la conviction exprimée par Paul (v. 9-10). Faut-il continuer le voyage, ou attendre le printemps ? En fait, il y a de bonnes raisons de prendre le risque de continuer : le pilote, fort de sa compétence et de son expérience y est favorable (v. 11), de même que la majorité des gens sur le bateau (v. 12). En plus, le fait de ne pas continuer comporte aussi un risque (v. 12). Et pour couronner le tout, un vent favorable commence à souffler, ce qui est bon signe (v. 13) ! La décision de continuer le voyage est donc mise en œuvre, non sans une certaine prudence (v. 13). Mais sitôt partis, c’est un retournement de situation total : les éléments se déchaînent soudain, et le navire se retrouve piégé par la tempête. Le fait de partir ne constituait pourtant pas un risque inconsidéré ! Mais l’auteur nous raconte tous ces détails pour nous montrer que la souveraineté de Dieu s’exerce envers et contre tout. Son plan surpasse les meilleurs plans des hommes. Ses projets s’accomplissent en dépit de la meilleure logique et de la meilleure volonté humaines (v. 14-15).
Un jour, j’ai dû décider si oui ou non j’allais dépenser une grande somme d’argent sur des réparations pour ma voiture. Étant donné que le montant des réparations était inférieur à la valeur de la voiture, j’ai opté pour la dépense, en demandant quand même au garagiste s’il pouvait prendre deux chèques et encaisser le deuxième un mois plus tard. Pas de problème. J’avais réfléchi, et pris la décision qui semblait la plus raisonnable, en ayant pesé un maximum d’enjeux et pris en considération un maximum d’éléments. Une bonne réparation, et la voiture sera repartie pour quelques années. Je récupère la voiture un mardi. Le samedi, dans un virage, un peu de gasoil sur la chaussée et ma voiture finit à l’envers dans le fossé. Verdict : irrécupérable. Un mois plus tard, le deuxième chèque était débité de mon compte. J’ai ri jaune ! Je me suis dit : « Seigneur, je ne comprends pas trop ton sens de l’humour ».
L’auteur du texte soulève le même problème : « Seigneur, pourquoi tu fais souffler un léger vent du sud, et permets-tu à l’équipage de prendre une décision semble-t-il bien fondée, si c’est pour ensuite retourner la situation contre eux ? ». Le texte nous raconte tout cela pour nous faire prendre conscience d’une idée simple : c’est que nous sommes certes appelés à exercer notre responsabilité, à peser le pour et le contre, à faire les meilleurs choix possibles, mais nous ne devons jamais nous confier en notre propre faculté de décision. Nous avons une faculté de décision, et nous devons l’exercer, mais en restant suspendus à Dieu. Pourquoi ? Parce que la souveraineté de Dieu s’exerce envers et contre tout, même nos meilleures décisions. « Le cœur de l’homme médite sa voie, mais c’est l’Éternel qui dirige ses pas » (Pr 16.9, SEG).
Cet état d’esprit nous permet d’éviter deux écueils. Premier écueil : la réticence à prendre la moindre décision, a avoir le moindre projet, par crainte que ça tombe à l’eau. Au contraire, croire que la souveraineté de Dieu s’exerce envers et contre tout devrait nous libérer dans l’exercice de nos responsabilités. C’est une sécurité, qui ne doit pas pour autant dévaloriser l’importance de bien fonder nos décisions. Le deuxième écueil que cela nous permet d’éviter, c’est la culpabilité et le désespoir qui pourraient nous assaillir quand les choses se passent mal. « Je ne comprends pas ! Cette décision me paraissait pourtant bonne. Est-ce que j’ai péché ? C’est ma faute ! ». Pas du tout : une décision bonne et juste peut très bien aboutir à un malheur, du point de vue de notre expérience. Regardez la vie de Job. La souveraineté de Dieu s’exerce envers et contre tout. Mais comment se fait-il que Dieu permette de telles difficultés dans nos vies, de telles catastrophes même, au point où on a l’impression, parfois, que Dieu agit en contradiction avec son propre plan ?
Je ne suis pas sûr que le texte nous donne une réponse pleinement satisfaisante à cette question. Mais voyons ce qui se passe. La tempête fait rage, alors des dispositions sont prises dans l’urgence pour limiter les dégâts (v. 16-17). Mais les circonstances ne font qu’empirer de jour en jour, au point où il faut commencer à jeter une partie de la cargaison et de l’équipement du navire (v. 18-19). L’équipage se retrouve de plus en plus démuni, jusqu’à ce terrible verset 20 qui décrit froidement la perdition et le désespoir des gens sur le bateau. Il ne fait aucun doute dans l’esprit de l’auteur que Dieu est souverain, qu’il est le Maître de la tempête et que c’est lui qui commande les vents. Mais comme si le lecteur n’était déjà pas assez perplexe face aux événements de ce récit, l’auteur est en train de surenchérir : on sait que Dieu avait prévu que Paul témoigne de l’Évangile à Rome, mais voilà que Dieu semble réaliser tout le contraire de son plan !
Le texte ne nous explique pas pourquoi il en est ainsi ; il dresse seulement un constat. Il nous rappelle simplement que le plan incompréhensible de Dieu ressemble à cela, parfois. Les disciples de Jésus ont dû ressentir la même perplexité, peut-être le même désespoir, lorsqu’ils ont vu mourir celui qu’ils croyaient être le Messie tant attendu. Ils ont vu le triomphe de Jésus lorsqu’il est entré dans Jérusalem (Lc 19.38), mais quelques jours plus tard, retournement de situation : Jésus est trahi, livré entre les mains de ses ennemis, abandonné des siens, humilié en public, et crucifié entre deux brigands (Lc 22-23). Quelle défaite ! Jésus lui-même, au cœur de la tourmente, s’écrie : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mc 15.34). On n’y comprend plus rien. « Seigneur, qu’est-ce que tu es en train de faire ? » Par moments, le plan de Dieu est incompréhensible. Mais son plan est bon et parfait. Un jour, cela nous apparaîtra pleinement. Les disciples en ont fait l’expérience, lorsque, quelques jours après la crucifixion, Jésus leur est apparu vivant de nouveau, et leur a expliqué qu’il devait souffrir de la sorte et mourir pour prendre sur lui les péchés de tous ceux qui se confieraient en lui (Lc 24.46-47), et que par sa résurrection et son ascension auprès du Père, le Messie était bel et bien entré dans son règne suprême et glorieux (Mt 28.18).
Un jour, mais peut-être pas ici-bas, nous serons absolument éblouis de voir combiens les plans de Dieu sont bons et parfaits, et nous pourrons mesurer toute la portée des paroles du prophète Ésaïe : « Autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre, autant [les voies de Dieu] sont élevées au-dessus de [nos] voies et [ses] pensées au-dessus de [nos] pensées » (És 55.9). En attenant, il nous faut reconnaître, et accepter, que par moments, le plan de Dieu est incompréhensible. Notre vie est subordonnée à sa souveraineté ; nous vivons comme suspendus à son plan ; mais ce plan est bon et parfait. « Que tes pensées, ô Dieu, me semblent impénétrables ! Que la somme en est grande ! Si je les compte, elles sont plus nombreuses que les grains de sable. Je m’éveille, et je suis encore avec toi » (Ps 139.17-18).
Que peut-on dire pour conclure ? À travers tout ce qu’on a vu dans ce texte, la leçon à retenir est simple : notre vie est précaire ici-bas, et rien au monde ne peut nous prémunir contre le plan parfois incompréhensible de Dieu. Si vous croyez à cette affirmation, il n’y a que deux conséquences possibles : soit cela vous terrifie, soit cela vous rassure. Cela doit vous terrifier, si vous n’êtes pas sûr d’avoir la faveur de ce Dieu souverain. Dieu est le Maître du vent, le Maître de toutes les circonstances de votre vie, et son plan est bon et parfait ; mais quelle place avez-vous dans ce plan ? Quelles sont vos garanties dans l’éternité ? Dieu vous propose une assurance éternelle, c’est le sang de son Fils versé à la croix pour le pardon de vos péchés. Si vous vous confiez en Jésus pour le pardon de vos péchés, vous pouvez être certain d’une chose, c’est que vous êtes l’objet éternel de l’amour de Dieu. Vous êtes l’ami du Maître du vent, l’enfant chéri du Maître de toute circonstance. Face à la souveraineté absolue de Dieu, c’est cela qui change notre terreur en assurance. Notre vie est précaire ici-bas, et rien au monde ne peut nous prémunir contre le plan parfois incompréhensible de Dieu, mais Dieu nous aime éternellement, et il a scellé cet amour à la croix. Il a signé ce « contrat d’assurance » avec le sang de Jésus-Christ son propre Fils. « Toutes choses coopèrent [concourent] au bien de ceux qui aiment Dieu […]. Lui qui n’a pas épargné son propre Fils, mais qui l’a livré pour nous tous, comment ne nous donnera-t-il pas aussi tout avec lui, par grâce ? […] Qui nous séparera de l’amour de Christ ? La tribulation, ou l’angoisse, ou la persécution, ou la faim, ou le dénuement, ou le péril, ou l’épée ? […] Mais dans toutes ces choses, nous sommes plus que vainqueurs par celui qui nous a aimés. Car je suis persuadé que ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni les dominations, ni le présent, ni l’avenir, ni les puissances, ni les êtres d’en-haut, ni ceux d’en-bas, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu en Christ-Jésus notre Seigneur » (Rm 8.28, 32, 35, 37-39).