Est-ce que vous vous sentez chez vous à l’église ? Regardez la personne qui est devant vous, derrière vous, à droite, à gauche… Est-ce que vous vous sentez, en compagnie de ces personnes, aussi à l’aise que si vous étiez assis dans le canapé de votre salon ? Peut-être que c’est la première fois que vous venez à l’église, alors cette question vous semble un peu bizarre : vous avez plutôt l’impression d’être un observateur, peut-être même un peu détaché de ce qui se passe ici. Mais peut-être que ça fait des semaines, voire des mois ou des années que vous venez régulièrement à l’église, et vous ne vous sentez toujours pas chez vous ici, en compagnie de ces gens qui vous entourent. Pourquoi ? Parce que ces gens ne vous ressemblent pas. Il y a ceux qui ont cinquante ans de plus ou de moins que vous, ceux qui parlent avec un accent étranger, ceux qui sont plus riches, ou plus pauvres, ceux qui sont mariés, ceux qui sont célibataires, ceux qui ont des enfants, ceux qui n’en ont pas, ceux qui écoutent du rock, et ceux qui écoutent de la musique classique, etc. Le texte de ce matin pose précisément ce problème, et va nous aider à répondre à la question de savoir s’il est préférable pour nous de rechercher la compagnie de ceux qui nous ressemblent, ou si nous devons changer notre vision, et nos attentes, vis-à-vis de l’Église, pour recevoir sa diversité comme une bénédiction. Et la réponse, comme souvent, tient à la nature même de l’Évangile.
Le texte présente Paul qui poursuit son ministère. Un épisode important vient de se terminer à Éphèse, et Paul décide de revenir sur les pas de son précédent voyage missionnaire pour affermir les églises. Il prend les disciples à part (v. 1). Paul prend le temps d’exhorter les assemblées existantes, plutôt que d’en créer de nouvelles, car il sait que ces nouveaux chrétiens ont besoin de communautés fortes, en bonne santé, pour vivre leur foi. La foi, ce n’est pas juste une expérience individuelle.
Paul sait que le chrétien est comme une braise incandescente. Si on la sort du feu, elle aura vite fait de s’éteindre. Comme la braise a besoin des autres braises dans le foyer de la cheminée pour se réchauffer mutuellement et pour continuer à brûler, le chrétien a besoin des autres chrétiens, et de l’église locale, pour entretenir sa foi, et pour grandir dans la foi.
Pourquoi est-ce ainsi ? La raison remonte à la création du monde. Lorsque Dieu a créé le premier homme, Adam, il a dit : Il n’est pas bon que l’homme soit seul (Gn 2 : 18). Alors Dieu lui a créé une femme, et il leur a dit de se multiplier, pour que l’homme puisse vivre en communauté. Dieu n’a jamais eu l’intention que l’homme vive tout seul, de façon indépen-dante. Dieu a créé l’homme à son image, à l’image de la Trinité, qui est la source du besoin de communauté de l’homme. Faisons l’homme à notre image selon notre ressemblance… Dieu créa l’homme à son image : … homme et femme il les créa (Gn 1 : 26, 27).
L’homme est donc fait pour vivre en communauté. Il est fait pour avoir une relation avec Dieu et avec autrui. L’individualisme est un effet du péché. Juste après la chute, la Bible raconte la décomposition de la communauté, avec le premier meurtre, celui d’Abel par son frère Caïn : L’Éternel dit à Caïn : Où est ton frère Abel ? Il répondit : Je ne sais pas ; suis-je le gardien de mon frère, moi ? (Gn 4 : 9). Nous devons donc, d’abord, reconnaître notre besoin de Dieu et des autres, notre dépendance plutôt que notre indépendance. Nous sommes des braises incandescentes. Mais où, et comment, trouver cette communauté dont nous avons besoin ?
Le texte raconte que Paul, après avoir parcouru ces quelques régions où il a implanté des églises (Macédoine, Grèce, v. 1, 2), décide de faire voile vers la Syrie (v. 3). Pourquoi donc ? Mais parce que c’est là que se trouve son église, celle d’Antioche, celle où il a ses amis, ses proches, les gens avec qui il se sent à l’aise, là où il se sent véritablement chez lui. Paul a le mal du pays, la nostalgie de son chez lui. Mais le texte raconte qu’il ne peut pas rentrer, et il doit modifier ses projets. Et par un magnifique effet de style, l’auteur tout d’un coup présente un groupe de personnes pour l’accompagner (v. 4, et le passage soudain à « nous », v. 5), comme si, dans l’impossibilité providentielle de rentrer chez lui, c’est son véritable « chez lui » qui se révèle à Paul. Dieu donne une leçon à Paul, et à nous, sur la nature de l’Église.
Paul ressentait son besoin de communauté. Naturellement, il voulait se trouver chez lui, auprès de gens qui lui ressemblaient, des gens qu’il connaissait bien et qui le connaissaient bien, avec qui il a partagé des expériences formidables, etc. Mais Dieu veut lui montrer autre chose. Vous avez déjà joué aux légos ? Vous recevez une boîte remplie de toutes sortes de pièces de tailles et de formes et de couleurs différentes, vous la videz par terre, et vous prenez un plaisir inouï à construire des choses… Maintenant imaginez que vous receviez une boîte de légos où toutes les pièces ont la même forme et la même couleur. Quel ennui.
Dieu veut montrer à Paul, et nous montrer, que les chrétiens sont des morceaux de légo avec des formes, des tailles, et des couleurs différentes. Nous ne sommes pas faits, dans le dessein de Dieu, pour n’être associés qu’avec des gens qui sont comme nous. C’est notre individualisme qui nous motive à chercher la compagnie de ceux qui nous ressemblent, mais en fait, Dieu nous montre que ce que nous ressentons comme un besoin d’affinités, ou d’atomes crochus, pour vivre en communauté, est une illusion liée en fin de compte au péché.
On sent bien, dans ce chapitre 20 qui s’ouvre, que Paul est diminué, fatigué. Sur ce troisième voyage missionnaire, il n’a créé qu’une église, celle d’Éphèse, et encore, il est venu à la suite de quelqu’un d’autre, Apollos. Il veut rentrer chez lui, et la présence de Luc, le médecin, à ses côtés à partir du verset 5, nous dit peut-être quelque chose sur sa santé physique. Mais Dieu veut lui apprendre quelque chose encore ; que notre individualisme, même en tant que chrétiens, nous fait chercher le confort illusoire d’une communauté d’atomes crochus, alors que le dessein de Dieu est tout autre, et notre bonheur, ailleurs. Nous sommes des morceaux de légo avec des formes, des tailles et des couleurs différentes, et nous ne sommes pas sensés être mis en boîte avec d’autres pièces qui sont toutes de la même forme, taille et couleur. Comme pour Paul, notre « chez nous » n’est peut-être pas là où nous croyons.
Nous avons mentionné cet effet de style formidable, où Luc raconte l’impossibilité pour Paul de rentrer chez lui, et cet entourage tout d’un coup mentionné pour l’accompagner : Sopater, Aristarque, Secondus, Gaïus, Timothée, Tychique et Trophime. Luc mentionne expressément l’origine de chacun de ces personnages (Bérée, Thessalonique, Derbe, et l’Asie) pour montrer leur diversité d’origine. Mais tous ont ce point commun : ils sont venus à l’Évangile à travers le ministère direct ou indirect de Paul. Paul découvre les fruits de son ministère, et ce sont ces fruits qui deviennent pour lui sa communauté.
Notez bien qu’aucun d’entre eux, semble-t-il, n’est originaire de Syrie ou d’Antioche. Ils parlent tous sans doute avec des accents différents, et ils n’ont pas reçu la même éducation. Ils ont des âges différents. Et toute cette diversité est mise en opposition par rapport aux Juifs (v. 3), qui sont présentés comme un bloc uniforme, ennemi de l’Évangile. Complot des Juifs au verset 3, accompagnement de cette petite troupe diverse et incongrue au verset 4. La leçon est la suivante : L’Évangile ne produit pas un nouveau groupe à l’intérieur de la société, mais l’Évangile produit une société nouvelle.
La façon de penser de l’individualiste, c’est de dire que la société est composée de groupes différents, réunis autour de leurs affinités. C’est comme se promener dans un magasin de pièces automobiles, et de voir, dans chaque rayon, les pièces triées et rangées selon leur marque, leur fonction, etc. Les rétroviseurs droit pour Peugeot 106 ici, les ailes avant gauche rouge foncé pour Renault Clio 4ème génération là, et ainsi de suite. Mais la façon de penser de Dieu est différente, et la façon de penser du chrétien devrait être différente.
Dieu intervient dans une société fragmentée, avec la bonne nouvelle de l’Évangile. Il a envoyé son Fils Jésus-Christ supporter le poids de nos péchés, le poids de notre individualisme et de notre désir d’indépendance, pour nous réconcilier avec Dieu notre Créateur et d’ainsi rétablir la relation originelle entre l’homme et Dieu, qui est la source de toute autre relation et de toute communauté. Dieu ne vient pas créer un nouveau rayon dans le magasin de pièces automobiles, mais il vient ouvrir un salon de l’automobile, où des pièces différentes sont réunies, réconciliées, pour former les plus beaux et les plus performants véhicules possibles. L’Évangile crée une société nouvelle, où la différence est une bénédiction, voulue par Dieu, et utile entre ses mains.
[Jésus] est venu annoncer comme une bonne nouvelle, la paix à vous qui étiez loin et la paix à ceux qui étaient proches ; car par lui, nous avons les uns et les autres accès auprès du Père dans un même Esprit. Ainsi donc, vous n’êtes plus des étrangers ou des gens de passage ; mais vous êtes concitoyens des saints, membres de la famille de Dieu (Ép 2 : 17 – 19). Alors regardez la personne qui est devant vous, derrière, à droite, à gauche… Aussi différents que nous puissions être les uns des autres, pour Dieu, et en Jésus-Christ, nous sommes ici, là où Dieu nous a placés, chez nous, citoyens d’un même Royaume, celui de Dieu, et membres de sa famille. La diversité de notre église est une richesse, déterminée de façon providentielle par Dieu, pour notre bien et pour sa gloire ! Nous sommes la vitrine du Royaume de Dieu, d’une société nouvelle, rachetée, réparée, où les différences d’âge, de langue, de revenus, de situation familiale, d’expérience, et même de goûts musicaux ne constituent plus des obstacles à notre communion les uns avec autres, mais bien plutôt, à cause de notre communion les uns avec les autres autour de Jésus-Christ, ces différences sont les signes incontestables de la rédemption opérée par Dieu dans notre vie. Puisse Dieu nous montrer, comme il l’a fait avec Paul, que notre chez nous est plus proche que nous le croyons : inutile de parcourir des centaines de kilomètres, d’attendre des dizaines d’années pour finalement ne jamais trouver les personnes qui nous ressemblent vraiment, mais grâce à Jésus, et par la foi en lui, nous sommes déjà chez nous ici, dans la communion de l’église locale où Dieu nous a placés. Vous avez été édifiés sur le fondement des apôtres et des prophètes, Jésus-Christ lui-même étant la pierre de l’angle. En lui, tout l’édifice bien coordonné s’élève pour être un temple saint dans le Seigneur (Ép 2 : 20, 21).