Est-ce qu’il vous est déjà arrivé d’être en pleine conversation avec un groupe d’amis qui emploient dans une phrase sur deux des mots vulgaires, et d’avoir la drôle d’impression que si vous n'utilisez pas vous-même régulièrement des gros mots qui commencent par « m », par « p » ou par « ch », vous ne serez pas compris ? Ou bien de travailler pour un employeur qui vous encourage à utiliser des pratiques malhonnêtes, et de vous dire que ce n’est pas grave d’agir ainsi parce que tout le monde le fait ? Ou bien encore de vous retrouver devant des images ou des discours obscènes à la télé juste parce que la culture a décrété que tel ou tel film était incontournable ? Ce n’est pas forcément évident à première vue, mais ce texte nous parle de notre relation, en tant que chrétiens, au monde. Et je constate qu’il y a deux tendances chez les chrétiens aujourd’hui : d’un côté il y a ceux qui se disent que la foi appartient à un petit compartiment privé de leur vie, et qu’on peut vivre sa foi, dans le monde, en la dissociant des autres compartiments de la vie. De l’autre côté, il y a ceux qui se disent que la foi doit diriger toute leur attention vers le ciel, et que tous les fruits de la foi sont des fruits spirituels et célestes, tandis que la vie sur terre, ou dans le monde, n’est finalement qu’un mauvais moment à passer en attendant le repos et la gloire du paradis. Dans les deux cas, en ce qui concerne le rapport du chrétien au monde, le résultat est similaire : la foi a perdu de sa pertinence et de son efficacité à défier le monde. Pour les premiers chrétiens, leur rapport au monde était particulièrement conflictuel, du fait de la persécution qu’ils subissaient sous l’empire romain. C’est à ces chrétiens-là que Luc écrit, des chrétiens intimidés, tentés par le découragement et le repli. Et il veut leur montrer que leur foi peut être courageuse et pertinente, à cause de la façon surprenante dont Dieu lui-même considère le rapport des chrétiens au monde.
Premier élément de l’histoire : Paul chasse un démon au nom de Jésus (v. 16 – 18). Deux remarques : 1. le démon reconnaît la vérité du témoignage de Paul, 2. il est chassé instantanément. Luc raconte cela, pour montrer que nous ne vivons pas dans un monde manichéen, où le bien et le mal combattent à forces égales. Jésus règne. Il est ressuscité pour s’asseoir à la droite de Dieu, et tout a été mis sous ses pieds.
Imaginez que vous soyez un matelot sur un navire de guerre il y a trois ou quatre siècles. Tous vos compères matelots commencent à comploter pour prendre le contrôle du navire. Vous pourriez être tenté de croire que leur revendication au commandement du navire est légitime, et être tenté de vous joindre à eux. Mais en réalité, ils ne peuvent usurper la place légitime du capitaine ; ils resteront sous l’autorité de la couronne, soit comme sujets fidèles, soit comme sujets rebelles.
La Bible dit, Les rois de la terre se dressent et les princes se liguent ensemble contre l’Éternel et contre son Messie… Il rit, celui qui siège dans les cieux… : c’est moi qui ait sacré mon roi sur Sion, ma montagne sainte ! (Ps 2 : 2 – 6). En soumettant ainsi toutes choses [à Jésus], Dieu n’a rien laissé qui reste insoumis (Hé 2 : 8). Comme les matelots, quoi qu’on fasse et où qu’on soit, on reste sous l’autorité de Jésus. Il a été établi roi de la création.
La question n’est donc pas de savoir si Jésus est vraiment le maître du monde, mais plutôt de savoir si nous le reconnaissons ou non. Il n’y a pas un combat à forces égales entre le bien et le mal pour la conquête du monde, mais un conflit, à l’intérieur du monde qui appartient déjà à Jésus-Christ, entre ceux qui reconnaissent son règne et ceux qui ne le reconnaissent pas. L’histoire du monde, c’est l’histoire de l’autorité de Jésus qui se déploie sur toute la création, ou l’histoire d’un roi qui fait appliquer son autorité sur son royaume. C’est en comprenant cela que Paul et Silas peuvent prier et chanter les louanges de Dieu (v. 25) au milieu de la nuit, au fin fond d’une prison, après voir été roués de coups (v. 23).
La tension entre croyants et non-croyants, entre la foi et le monde, est donc un problème d’autorité. À travers son témoignage auprès de ces gens à Philippes, Paul est en train de révéler au monde l’autorité légitime à laquelle la création tout entière doit allégeance. Il chasse le démon au nom de Jésus, mais les maîtres de la servante ne veulent pas accepter l’autorité de Jésus car elle va contre leurs intérêts personnels (v. 19).
Paul se retrouve comme le matelot sur le navire au milieu de ses compères rebelles. Mais lui, il reconnaît l’autorité supérieure du capitaine, et il est tout seul à proclamer à tous ces matelots énervés qu’ils doivent allégeance et obéissance à celui qui détient l’autorité. Evidemment, il s’attire les foudres des mutins. C’est un conflit d’intérêts, un problème d’autorité.
La réaction des opposants à Paul et Silas est virulente (v. 22 – 24). Pourquoi ? Parce qu’en niant l’autorité supérieure de Jésus ils s’imaginent être à égalité avec Paul et Silas, et ils s’imaginent pouvoir faire gagner leurs propres intérêts s’ils arrivent à montrer qu’ils sont plus puissants qu’eux. Ils sont manichéens : ils pensent pouvoir faire gagner leur camp en neutralisant le camp adverse.
Mais la perspective de Paul et Silas sur le conflit qui les oppose au monde est tout différente de la perspective des non-croyants. Parce qu’ils ont compris que Dieu avait une intention très surprenante concernant le monde, une intention qui prend à contre-pied la stratégie du monde qui s’oppose à Dieu : ils ont compris que la victoire de Dieu sur le monde ne passait pas par le renversement du monde (contrairement à une vision manichéenne), mais par la rédemption du monde. Ils ont compris que l’intention de Dieu n’était pas de détruire le monde, mais de racheter le monde.
Et dans le texte, Dieu intervient en manifestant une fois de plus sa suprématie (v. 26) et le geôlier comprend qu’il a perdu le combat et il est près à se suicider parce qu’il a une vision manichéenne du monde. Il a supposé que les prisonniers étaient partis. Mais l’intention de Dieu est tout autre. Paul et Silas sont tellement convaincus de la suprématie de Jésus qu’ils sont restés dans la prison, et le geôlier reconnaît tout d’un coup sa situation devant le maître du monde (v. 30). Paul et Silas lui disent de se confier en Jésus pour être sauvé.
Imaginez ces mutins qui ont pris le contrôle du navire pendant l’absence du capitaine. Ils ont jeté aux requins tous ceux qui s’opposaient à leur projet. Mais voilà que le capitaine revient, en compagnie d’une flotte impressionnante. La réaction des mutins pourrait être semblable à celle des pirates qui voient arriver les gau…, les gaugau…, les gaulois : on va se saborder soi-même puisque c’est cela qui nous attend de toute façon. Mais ô surprise, ce n’est pas cela l’intention du capitaine : il ne veut pas anéantir les rebelles, mais plutôt rétablir son autorité sur eux. Il veut les racheter ; il les invite à s’humilier et il est prêt à leur pardonner.
Le but de Dieu, ce n’est pas de remporter la victoire sur le monde en le détruisant, mais de remporter la victoire sur le monde en le rachetant. Dieu ne veut pas renverser la société qui nous entoure, mais il veut la réparer, la rétablir. Il est très intéressant de remarquer que Dieu n’a pas changé le statut de Paul et Silas par rapport au geôlier : ils restent des prisonniers. Mais la foi de Paul et Silas fait d’eux des bons prisonniers, et la foi du geôlier fait de lui un bon geôlier. Remarquez encore que Paul refuse d’être libéré en douce ; il assume sa citoyenneté romaine : sa foi fait de lui un bon romain, alors que c’était précisément l’excuse des non-croyants pour ne pas recevoir l’Évangile (v. 21).
Vous voyez que d’un côté, on a le raisonnement manichéen des romain, qui disent, « Un bon chrétien, c’est un chrétien neutralisé », mais le discours de Dieu, c’est plutôt, « Un bon romain, c’est un romain racheté ». Jésus règne même sur les non-croyants et sur une société anti-Dieu, et son intention est de déployer l’autorité qu’il a déjà, sur toute la création. Nous ne voyons pas encore maintenant que toutes choses lui soient soumises (Hé 2 : 8). Dieu aime sa création, il aime l’humanité, et il veut la restaurer. Il a déjà vaincu tous les obstacles pour que cela puisse se réaliser, et il est maintenant en train de le réaliser à travers l’expansion de son royaume, c’est-à-dire de l’Église, dans le monde. Nous devons rester convaincus de la suprématie de Jésus sur le monde entier afin de vivre au jour le jour en reconnaissant son autorité dans tous les domaines de notre vie : à la maison, au travail, au lycée, au magasin, dans nos relations amicales, et devant la télé. Nous devons, et nous pouvons, manifester l’autorité de Jésus dans tous ces domaines, sans fléchir, sans s’excuser de le faire, sans avoir peur, parce que Jésus a dit que nous étions le sel de la terre. Mais si le sel devient fade avec quoi le salera-t-on ? (Mt 5 : 13). Nous sommes la lumière du monde, c’est-à-dire que nous devons briller devant les hommes, manifester devant le monde l’autorité suprême de Jésus sur tous les domaines de la création. Notre foi peut être courageuse et elle doit être pertinente. Notre foi ne doit pas être réservée à un petit compartiment de notre vie, et elle ne doit pas non plus être une simple vapeur qui flotte dans les sphères spirituelles et célestes ; notre foi doit s’inscrire dans la réalité de notre vie ici-bas et se traduire dans tous les détails de notre vie de tous les jours. Peut-être qu’on peut prendre quelques minutes et réfléchir aux domaines de notre vie qui résistent à l’autorité de Jésus, et lui demander pardon, et lui soumettre de nouveau ces domaines. Paul a écrit à ces mêmes chrétiens de Philippes quelques années plus tard, et leur a rappelé la nature du témoignage qu’ils sont appelés à avoir dans le monde, à cause de la suprématie de Jésus : Philippiens 2 : 9 – 16.