L'Évangélisation, un mode de vie

Par Alexandre Sarranle 10 juin 2024

Introduction

On ne compte pas les récits d’évangélisation et de conversions que l’on trouve dans la littérature chrétienne, des récits aussi nombreux que variés, souvent évocateurs des récits que l’on trouve dans l’histoire de l’Église primitive, telle qu’elle est racontée dans le livre des Actes. L’expérience montre que Dieu est capable d’employer des moyens très différents pour toucher le cœur d’un incroyant, toutefois, il faut remarquer que neuf fois sur dix, les moyens employés impliquent d’une façon ou d’une autre le témoignage verbal d’un chrétien. Ces histoires, parfois très impressionnantes, peuvent susciter l’admiration, mais aussi une certaine gène, une certaine honte, voire une certaine culpabilité, lorsqu’on est amené à considérer le décalage évident entre le zèle de ces héros de la foi et sa propre expérience chrétienne, plutôt quelconque et routinière. Quelles sont les excuses que l’on se donne pour ne pas parler de Jésus-Christ aux incroyants que l’on est amené, inévitablement, à croiser chaque jour ? On se dit peut-être que les conditions ne sont pas favorables à une bonne discussion, puis on se persuade que l’on ne possède pas les bons outils pour pouvoir témoigner de façon efficace à telle ou telle personne, et enfin on se rassure en se souvenant qu’après tout, les occasions se représenteront bien le lendemain. Mais l’histoire de la rencontre entre le diacre Philippe et l’eunuque éthiopien pulvérise ce genre de raisonnement et replace le lecteur chrétien en face de ses responsabilités, en rappelant l’importance extrême de l’Évangile : un Évangile qui s’adresse à la plus improbable des situations, qui constitue le plus universel des messages, et qui exige la plus urgente des actions.

La plus improbable des situations

Suite à la persécution de l’Église survenue lors de la lapidation d’Étienne, les chrétiens ont été dispersés dans les contrées voisines de Jérusalem (8 : 1). Philippe s’est ainsi rendu en Samarie, où son témoignage a eu un effet retentissant, avec la conversion de toute une ville au Seigneur, et la profession de foi de cet homme influent, Simon le magicien (8 : 4 – 25). Le travail de Philippe en Samarie ayant été achevé, et approuvé par la venue des apôtres, le texte raconte qu’un ange du Seigneur a appelé le diacre-évangéliste à se rendre du côté du midi, sur le chemin qui descend de Jérusalem à Gaza, celui qui est désert (v. 26). Une bien étrange invitation : après une évangélisation fructueuse auprès de la population d’une grande agglomération de la Samarie, Philippe est alors appelé à se rendre hors des villes, loin des foules, dans un endroit inhabité, sur une voie de circulation où il n’y a rien. Philippe aurait-il imaginé que ce chemin désert pût être un endroit favorable au témoignage et à la diffusion du message de l’Évangile ? Mais l’expérience de Philippe révèle que le message de l’Évangile s’applique n’importe où. Il est pertinent partout, même dans les endroits les plus improbables.

Non seulement Philippe a été envoyé dans un endroit complètement improbable, mais de surcroît, il y est amené à rencontrer un personnage complètement improbable. C’est non sans une certaine surprise que le lecteur (comme Philippe sans doute) découvre cet eunuque éthiopien, personnage intrigant s’il en est (v. 27). Un étranger de pays et de culture, quelque peu excentrique, haut placé dans la société, et certainement très riche. Mais la leçon que le lecteur apprend à travers cet épisode singulier du ministère de Philippe, c’est que le message de l’Évangile s’adresse à n’importe qui. C’est un message qui est pertinent non seulement dans les endroits les plus improbables, mais aussi dans la vie des gens les plus improbables. Parmi toutes les personnes que l’on est amené à rencontrer, il n’y en a aucune qui soit trop différente, trop distante, trop intimidante, ou trop inconnue pour ne pas être, elle aussi, intimement concernée par le message de l’Évangile.

Mais Philippe ne se trouve pas seulement dans un endroit improbable, en compagnie d’un personnage improbable ; c’est aussi à un moment improbable ! Le texte raconte que l’eunuque, qui s’était rendu à Jérusalem pour adorer, s’en retournait, assis sur son char, en lisant le prophète Ésaïe (v. 28). L’Éthiopien retournait vers son pays, vers le sud depuis Jérusalem, sur ce fameux chemin désert entre Jérusalem et Gaza, ce qui signifie qu’il s’éloignait de Philippe, lui-même venant de la Samarie. L’eunuque s’éloignait de Philippe, qui plus est, dans un véhicule, tout en étant manifestement occupé à lire, mais qu’à cela ne tienne, Philippe l’a rattrapé, sans doute à pied, et n’a pas hésité à l’interrompre (v. 29, 30). Il a fallu que l’Esprit ordonne explicitement à Philippe de rattraper le char de l’Éthiopien, tellement le moment semblait, sans doute, défavorable au témoignage. Pourtant, il est manifeste ici que le message de l’Évangile, porté par Philippe et par tous les chrétiens, est pertinent n’importe où, pour n’importe qui, et n’importe quand.

Philippe aurait pu trouver, étant données les circonstances de cet épisode, beaucoup d’excuses pour ne pas témoigner auprès de ce personnage. Mais le Seigneur, par le biais de son ange, envoie son serviteur dans ce lieu désert, auprès de cet eunuque étrange, à un mauvais moment, sans doute pour montrer à Philippe, ainsi qu’au lecteur de ce texte, que le message de l’Évangile s’adresse même à la plus improbable des situations. L’excuse des « conditions pas vraiment favorables » n’est jamais possible. En ce qui concerne la diffusion de l’Évangile, les conditions défavorables n’existent pas, bien qu’il faille certes faire usage d’un certain degré de sensibilité selon les différentes situations dans lesquelles les croyants sont amenés à témoigner. Mais les conditions réellement défavorables au témoignage n’existent pas, et cela d’autant plus que les chrétiens sont équipés d’un bien meilleur outil qu’ils ne le pensent, cet outil étant la Bible elle-même.

Le plus universel des messages

Il est remarquable de constater combien la Bible est au centre de ce récit de la rencontre entre Philippe et l’eunuque. Ce sont précisément les Écritures saintes qui constituent la passerelle entre ces deux personnages de cultures tellement différentes, Philippe d’un côté, le Juif helléniste converti au christianisme, fugitif depuis la persécution à Jérusalem, et cet eunuque éthiopien de l’autre côté, relativement puissant et riche, qui retourne tranquillement à son domicile et à son confort habituel (v. 30). La Bible, en effet, est un document de référence universel ; aujourd’hui plus que jamais, la Bible constitue le livre le plus lu, le plus diffusé, et le plus influent de l’histoire. La Bible est un point de contact pour l’humanité presque tout entière. Combien il est important, donc, de bien connaître les Écritures dans le cadre du témoignage chrétien. Philippe lui-même accourait vers le char pour le rattraper, et a immédiatement reconnu l’extrait des Écritures que l’eunuque lisait à voix haute.

Il est essentiel, pour les croyants, témoins de Jésus-Christ, de bien connaître la Bible eux-mêmes. De constamment la lire et de la relire. Mais bien sûr, ça ne s’arrête pas là. Il faut aussi faire connaître la Bible. Philippe a ainsi été invité à monter sur le char pour aider l’eunuque à mieux connaître sa Bible (v. 31). Et voici Philippe et l’Éthiopien assis côte à côte, penchés sur l’Écriture, à lire ensemble ce passage du prophète Ésaïe (v. 32, 33). N’est-il pas important, dans le cadre du témoignage chrétien, non seulement pour les croyants de bien connaître la Bible personnellement, mais aussi de mettre publiquement le texte biblique en avant ? Il est certain en effet que la Bible constitue l’outil le plus efficace qui soit pour toucher les cœurs : La parole de Dieu est vivante et efficace, plus acérée qu’aucune épée à double tranchant ; elle pénètre jusqu’à la division de l’âme et de l’esprit, des jointures et des moelles ; elle est juge des sentiments et des pensées du cœur (Hé 4 : 12).

En connaissant la Bible, et en la faisant connaître, le témoin de Jésus-Christ peut ensuite s’appuyer sur elle pour accomplir son travail d’évangélisation, comme Philippe le fait (v. 34, 35). Mais témoigner en s’appuyant sur la Bible, ce n’est pas débattre pour savoir si l’univers est vieux de dix mille ans ou de quinze milliards d’années ; ce n’est pas non plus démontrer le sens exact du grec dans tel ou tel verset ; ce n’est pas non plus argumenter en faveur d’une traduction contre une autre. Mais ce n’est qu’une chose : Philippe ouvrit la bouche et, commençant par ce texte, lui annonça la bonne nouvelle de Jésus (v. 35). Témoigner en s’appuyant sur les Écritures saintes, c’est annoncer Jésus. Toute la Bible, d’une façon ou d’une autre, pointe vers Jésus, Dieu le Fils, mort à la croix pour les péchés d’une multitude d’hommes, ressuscité, qui règne à la droite de Dieu le Père, et qui propose à chacun le salut par la foi en son nom.

La Bible est l’outil d’évangélisation par excellence. Le croyant, appelé à diffuser le message de l’Évangile, ne peut pas prétendre ne pas être suffisamment équipé pour le faire. La Bible est une « arme » puissante, universelle, et disponible. Il faut connaître les Écritures saintes, les faire connaître, et s’appuyer sur elles pour présenter la personne de Jésus : qui il est, ce qu’il a fait, et ce qu’il veut faire maintenant. En Occident, il est facile de se procurer la Parole de Dieu, et les occasions sont nombreuses de la lire et de la diffuser publiquement. Il ne faut pas négliger ce parfait outil pour le témoignage, mais plutôt suivre l’exemple de Philippe, qui emploie cet outil de manière tout à fait fructueuse pour annoncer le message de l’Évangile. Cet épisode montre donc que l’Évangile s’applique à la plus improbable des situations, et constitue le plus universel des messages, mais le récit se poursuit, en montrant que l’Évangile exige aussi la plus urgente des actions.

La plus urgente des actions

Il n’y a pas que l’étymologie du mot qui indique que l’Évangile est une bonne nouvelle. Le message de l’Évangile constitue réellement, de par sa nature, une très bonne nouvelle ! C’est la réponse aux questions les plus existentielles qu’un homme puisse se poser, et la satisfaction de ses besoins les plus profonds. On dit aujourd’hui que dans le monde entier, il y a environ cent personnes qui meurent chaque minute ; quel investissement de la part des chrétiens le salut éternel de ces personnes mérite-t-il ? Il y a véritablement urgence en ce qui concerne la diffusion du message de l’Évangile. C’est le remède unique pour une maladie universelle. Philippe a annoncé à l’eunuque littéralement la bonne nouvelle de Jésus (v. 35). Ayant compris que c’était vraiment une bonne nouvelle, l’eunuque désire être baptisé sur-le-champ (v. 36). De la même façon, une fois l’eunuque converti et baptisé, Philippe ne s’est pas attardé à son côté mais il a repris le chemin, pressé lui aussi par l’urgence de la bonne nouvelle qu’il désirait faire connaître, et le texte dit qu’il évangélisa toutes les villes par lesquelles il passait jusqu’à son arrivée à Césarée (v. 40), c’est-à-dire, depuis Azot, sur un chemin d’une centaine de kilomètres de long.

Parce que le message de l’Évangile est véritablement une bonne nouvelle, il demande un engagement immédiat. L’eunuque a manifesté cet engagement par le baptême, mais avant cela, il l’a fait par une profession de foi, en disant : Je crois que Jésus-Christ est le Fils de Dieu (v. 37). Le message de l’Évangile, de par sa nature toujours, exige de l’auditeur qu’il se positionne par rapport à lui. Combien il est trompeur et dangereux de véhiculer l’impression que le message de l’Évangile est une simple connaissance intellectuelle à avoir. Parfois, le témoignage chrétien contribue à donner ce sentiment, alors qu’au cœur du message évangélique, il y a le fait que Jésus veut sauver les hommes d’une condamnation qui est bel et bien réelle. L’invitation de l’Évangile ne peut pas être remise à plus tard. L’eunuque voulait savoir ce qui l’empêchait de prendre position tout de suite ; Philippe lui a répondu qu’il lui suffisait de croire de tout son cœur (v. 37). Aussitôt, le char a été arrêté ainsi que tout autre projet ; tout est passé au second plan pour que l’eunuque concrétise son engagement par le baptême. Placer son entière confiance en Jésus et recevoir de lui le pardon des péchés et la vie éternelle, c’est quelque chose que n’importe qui peut faire, n’importe où et n’importe quand.

L’Évangile est une bonne nouvelle, donc, qui demande une réponse immédiate, mais il faut encore préciser que la portée du message de l’Évangile n’est pas seulement future. L’Évangile s’applique ici et maintenant ; son effet commence immédiatement. Cette certitude est magnifiquement illustrée par le fait que l’eunuque, une fois converti, est devenu joyeux (v. 39). Sa vie a été transformée ; certes, il n’a pas été instantanément transporté dans la présence glorieuse du Seigneur, il a plutôt poursuivi son chemin, mais déjà il n’était plus le même. L’Évangile est pertinent tout de suite. Jésus veut investir la vie des hommes tout de suite, et commencer à transformer les hommes à son image tout de suite. Il veut faire des êtres humains qui se convertissent à lui les hommes et les femmes qu’ils sont sensés être, et il veut commencer à le faire tout de suite. L’Évangile est une bonne nouvelle qui concerne le jour présent et pas seulement l’avenir. Le pardon des péchés est pour aujourd’hui, et la vie éternelle commence maintenant. On ne peut pas honnêtement remettre à plus tard le partage d’une telle bonne nouvelle, qui exige de la part des croyants le plus urgent des investissements, mais aussi de la part des destinataires la plus urgente des décisions.

Conclusion

Cet épisode de la rencontre de Philippe et de l’eunuque éthiopien en dit long sur la responsabilité qui incombe à tous les chrétiens de témoigner du Seigneur Jésus. Le message du texte est clair, même s’il est difficile à accepter : s’appliquant même à la plus improbable des situations, le plus universel des messages exige la plus urgente des actions. Il n’y a pas de conditions véritablement défavorables à l’annonce de l’Évangile. La Bible est un outil universel, suffisant et disponible pour présenter la personne et l’œuvre de Jésus. De par la nature de son message, la proclamation de l’Évangile ne peut pas être remise au lendemain. L’Apôtre Paul ajoute : La nécessité d’évangéliser m’est imposée. Malheur à moi si je n’évangélise ! (1 Co 9 : 16). Il faut imiter Philippe et saisir même la plus improbable des occasions pour témoigner du Seigneur Jésus, et si le croyant craint de le faire, il faut peut-être qu’il prie pour que Dieu lui impose des occasions qu’il ne pourra pas éviter. Il ne faut pas hésiter à aller au-devant des gens, même au prix d’un certain effort, comme Philippe l’a fait pour rattraper le char qui s’éloignait. Il faut identifier les excuses que l’on se donne, demander pardon à Dieu pour ce qui n’est rien de moins que de l’incrédulité ou de la désobéissance, et prier Dieu pour recevoir de lui une plus grande compassion pour les incroyants. Jésus est le remède à la plus mortelle des maladies, et on ne s’empresserait pas de l’annoncer à n’importe qui, n’importe où, et n’importe quand ? Que Dieu vienne en aide aux chrétiens pour qu’ils fassent de l’évangélisation, comme Philippe, un mode de vie.

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